Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, III.djvu/405

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dans noſtre eſprit, lors que nous conceuons vne choſe, de quelque maniere que nous la conceuions.

Mais i’apprehende qu’il ne ſoit de ceux qui croyent ne pouuoir conceuoir vne choſe, quand ils ne ſe la 5 peuuent imaginer, comme s’il n’y auoit en nous que cette ſeule maniere de penſer & de conceuoir. Il a bien reconnu que ie n’eſtois pas de ce ſentiment ; & il a auſſi aſſez monſtré qu’il n’en eſtoit pas non plus, puis qu’il dit luy-meſme que Dieu ne peut eſtre conceu 10 par l’imagination. Mais ſi ce n’eſt pas par l’imagination qu’il eſt conceu, ou l’on ne conçoit rien quand on parle de Dieu (ce qui marqueroit vn épouuantable aueuglement), ou on le conçoit d’vne autre maniere ; mais de quelque maniere qu’on le conçoiue, on en a 15 l’idée, puiſque nous ne ſçaurions rien exprimer par nos paroles, lors que nous entendons ce que nous diſons, que de cela meſme il ne ſoit certain que nous auons en nous l’idée de la choſe qui eſt ſignifiée par nos paroles.

20 Si donc il veut prendre le mot d’idée en la façon que i’ay dit[1] tres-expreſſément que ie le prenois, ſans s’arreſter à l’equiuoque de ceux qui le reſtraignent aux ſeules images des choſes matérielles qui ſe forment dans l’imagination, il luy ſera facile de 25 reconnoiſtre que, par l’idée de Dieu, ie n’entens autre choſe que ce que tous les hommes ont couſtume d’entendre lors qu’ils en parlent, & que ce qu’il faut auſſi de neceſſité qu’il ait entendu luy-meſme ; autrement, comment auroit-il pu dire que Dieu eſt infiny & 30 incomprehenſible, & qu’il ne peut pas eſtre repreſenté par

  1. Médit. IIIa, p. 35-36 (édit. 1641). ou p. 30-31 (édit. 1642).