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CDLIII. — i er Novembre 1646. $41

» choit pas une promptitude raisonnable dans l'expédition des affaires. » Pour celles de sa maison, et qui dépendoicnt purement de son autorité » absolue, elle n'en faisoit pan à personne; et quant au gouvernement de » l'Etat, elle en délibéroit avec le Sénat, dans lequel il étoit incroyable » combien elle avoit élevé son autorité, ajoutant à la qualité de Reine la » grâce, la force de persuader, le crédit, et l'humeur bien-faisan te. Les » Sénateurs eux-mêmes, étant hors du Conseil, paroissoient étonnez du » pouvoir que cette jeune Princesse avoit sur leurs sentimens, lorsqu'ils » étoient assemblez. M. Chanut avoit oiiy quelques-uns d'entre eux attri- » buer leur soumission extraordinaire à la qualité de fille, s'imaginant » que la secrette inclination de la nature à la déférence pour ce sexe les » faisoit plier insensiblement. Mais il est à croire que cette grande auto- » rite naissoit des bonnes qualitez qu'on voyoit en sa personne. Un jeune » Roy avec les mêmes vertus aurait peut-être été aussi absolu dans son » Sénat; mais la chose auroit été moins singulière que de voir une jeune » fille tourner adroitement les esprits des plus anciens et des plus sages » conseillers. Ce n'étoit pas merveille qu'elle ht paraître une prudence » mâle dans son Sénat, vu que dans les actions extérieures mêmes, qui » semblent plus attachées aux différences du sexe que celles de l'esprit, » la nature ne luy avoit refusé aucune des qualitez dont un jeune cavalier » se picqueroit. Elle étoit patiente au rravail de la campagne, jusques à »> durer dix heures à cheval en un jour de chasse. Le froid ny le soleil ne » l'incommodoient point. Son manger étoit simple et sans délices. Aucun » de sa Cour n'approchoit de sa justesse à tirer un lièvre en courant d'une » balle seule. Elle sçavoit tirer d'un cheval tout ce qu'il sçait faire, mais » sans affectation et sans y chercher matière de gloire. Ces exercices à la » campagne, les affaires publiques ei ses études particulières la séparoient » tellement de la conversation des femmes qu'elle leur parloit assez rare- » ment, et les quittoit ordinairement après les premiers complimens de » leurs civilitez, pour aller s'entretenir avec les hommes dans des dis- » cours sérieux. Ceux de la conversation desquelles elle espéroit tirer » quelque utilité étoient traitez avec toute la complaisance imaginable ; » mais elle tranchoit court avec les autres, et lorsqu'il n'y avoit rien à » apprendre avec eux, elle ne s'étendoit point en discours plus avant que » la nécessité le demandoit. Ainsi tous ses domestiques avoient peu de » paroles avec elle ; mais ils ne laissoient pas de l'aimer, parce qu'elle les n traittoit toujours avec douceur. Elle leur étoit d'ailleurs bonne mai- » tresse. Elle étoit libérale, même au delà des moyens de son état; elle » étoit pleine de charité et de compassion dans les maux d'autruy. Il est » vray qu'elle railloit assez volontiers les gens sur leurs défauts; mais » quoique ce fût toujours sans aigreur et de la meilleure grâce du monde, » il auroit peut-être été meilleur qu'elle eût pu s'en abstenir, pareeque » les railleries des Grands font souvent de mauvaises impressions sur » ceux de moindre qualité qui les souffrent. » « Elle n'étoit ordinairement au lit que cinq heures, ce qui n'étoit pas

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