Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, IV.djvu/628

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614 Correspondance. 1,116.117.

quelque déréglée quelle (bit, a toufiours le bien pour obiet, il ne me femble pas quelle puiffe tant cor- rompre nos mœurs, que fait la haine qui ne fe propofe que le mal. Et on voit, par expérience, que les plus gens de bien deuiennent peu à peu malicieux, lors 5 qu'ils font obligez de haïr quelqu'vn; car, encore mefme que leur haine foit iufle, ils fe reprefentent û fouuent les maux qu'ils reçoiuent de leur ennemy, & auffi ceux qu'ils luv fouhaitent, que cela les acoutume peu à peu à la malice. Au contraire, ceux qui s'a- 10 donnent à aimer, encore mefme que leur amour foit déréglée & friuole, ne laiffent pas de fe rendre fouuent plus honneftes gens & plus vertueux, que s'ils occu- poient leur efprit à d'autres penfées.

Pour le fécond point, ie n'y trouue aucune diffi- i5 culte : car la haine eft toufiours accompagnée de trif- teffe & 'de chagrin; & quelque plaifir que certaines gens prennent à faire du mal aux autres, ie croy que leur volupté eft femblable à celle des démons, qui, ] félon noftre Religion, ne laiffent pas d'eftre damnez, 20 encore qu'ils s'imaginent continuellement fe vanger de Dieu, en tourmentant les hommes dans les Enfers. Au contraire, l'amour, tant déréglée qu'elle foit, donne du plaifir, & bien que les Poètes s'en plaignent fou- uent dans leurs vers, ie croy neantmoins que les 25 hommes s'abftiendroient naturellement d'aimer, s'ils n'y trouuoient plus de douceur que d'amertume; & que toutes les afflictions, dont on attribue la caufe à l'amour, ne viennent que des autres pâmons qui l'ac- compagnent, à fçauoir, des defirs téméraires & des 3o èfperances mal fondées.

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