Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, IV.djvu/629

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

i.iiT-iis. CDLXVIII. — i cr Février 1647. 615

Mais fi Ton demande laquelle de ces deux paffions nous emporte à de plus grands excès, & nous rend capables de faire plus de mal au refte des hommes, il me femble que ie dois dire que c'eft l'amour; d'autant

5 qu'elle a naturellement beaucoup plus de force & plus de vigueur que la haine; & que fouuent l'affeétion qu'on a pour vn obiet de peu d'importance, caufe in- comparablement plus de maux, que ne pourroit faire la haine d'vn autre de plus de valeur. le prouue que la

10 haine a moins de vigueur 'que l'amour, par l'origine de l'vne & de l'autre. Car, s'il eft vray que nos premiers fentimens d'amour foient venus de ce que noftre cœur receuoit abondance de nourriture qui luv efloit con- uenable, & au contraire, que nos premiers fentimens

'5 de haine ayent efté caufez par vn aliment nuifible qui venoit au cœur, & que maintenant les mefmes mou- uemens accompagnent encore les mefmes pallions, ainfi qu'il a tantoft efté dit 3 , il eft éuident que, lors que nous aimons, tout le plus pur fangde nos veines

20 coule abondamment vers le cœur, ce qui enuove quan- tité d'efprits animaux au cerueau, & ainfi nous donne plus de force, plus de vigueur & plus de courage; au lieu que.li nous auons de la haine, l'amertume du fiel Si l'aigreur de la rate, fe mêlant auec noftre lang, eft

a5 caufe qu'il ne vient pas tant nv de tels efprits au cer- ueau, & ainli qu'on demeure plus foible, plus froid & plus timide. Et l'expérience confirme mon dire; car les Hercules, les 1 Rolans. & généralement ceux qui ont le plus de courage, aiment plus ardemment que les

3o autres ; & au contraire, ceux qui font foibles & lafehes,

a. Ci-avant, p. 609, 1. 27.

�� �