Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, IV.djvu/630

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sont les plus enclins à la haine. La colère peut bien rendre les hommes hardis, mais elle emprunte fa vigueur de l’amour qu’on a pour foy-mefme, laquelle luy fert toufiours de fondement; & non pas de la haine qui ne fait que l’accompagner. Le desespoir fait faire aussi de grands efforts de courage, & la peur fait exercer de grandes cruautez ; mais il y a de la différence entre ces passions & la haine.

Il me refte encore à prouuer que l’amour qu’on a pour yn obiet de peu d’importance, peut caufer plus 10 de mal, eftant déréglée, que ne fait la haine d’vn autre de plus de valeur. Et la raifon que i’en donne, eft que le mal qui vient de la haine s’étend feulement fur l’obiet hay, au lieu que l’amour déréglée n’épargne rien, finon fon obiet, lequel n’a, pour l’ordinaire, que si peu d’étendue, à comparaifon de toutes les autres choses dont elle eft prefte de procurer la perte & la ruine, afin que cela férue de ragouft à l’extrauagance de sa fureur. On dira peut-eftre que la haine est la plus prochaine caufe des maux qu’on attribué à l’amour, pour ce que,fi nous aimons quelque chose, nous haillons, par mefme moyen, tout ce qui luy est contraire. Mais l’amour eft toufiours plus coupable que la haine, des maux qui fe font en cette façon, d’autant qu’elle en eft la première caufe, & que l’amour d’vn seul obiet peut ainsi faire naiftre la haine de beaucoup d’autres. Puis, outre cela, les plus grands maux de l’amour ne font pas ceux quelle commet en cette façon par l'entremise de la haine; les principaux & les plus dangereux font ceux qu’elle fait, ou laifïe faire, pour îo le lcul plaisir de l’obiet aimé, ou pour le sien propre.