Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, IX.djvu/130

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

170

��104 Œuvres de Descartes. i3i-i32.

choies immatérielles ou metaphyfiques, il faut éloigner fon efprit des fens, neantmoins perfonne, que ie fçache, n'auoit encore monftré par quel moyen cela fe peut faire. Or le vray &, à mon iugement, l'vnique moyen pour cela eft contenu dans ma féconde Méditation; mais il elt tel que ce n'eit pas affez de l'auoir enuifagé vne fois, il le faut examiner fouuent, & le confidejrer long-temps, afin que l'habitude de confondre les chofes intelleduelles auec les corporelles, qui s'eft enracinée en nous pendant tout le cours de noilre vie, puilfe eftre elfacée par vne habitude contraire de les diftinguer, acquife par l'exercice de quelques iournées. Ce qui m'a femblé vne caufe allez iufte pour ne point traitter d'autre matière en la féconde Méditation.

Vous demandez icy comment ie démonflre que le corps ne peut penfer; mais pardonnez-moy fi ie répons que ie n'ay pas encore donné lieu à cette queflion, n'ayant commencé d'en traitter que dans la fixiéme Méditation, par ces paroles : C'ejl affe:{ que ie puijfe clairement & dijiinùlement conceuoir vne choje fans pne autre, pour ejlre certain que l'vne ejî dijlinâe ou différente de l'autre, &c. Et vn peu après : Encore que i'aje im corps qui me fait fort eflroi- lement conjoint, neantmoins, parce que, d'un coflé, i'ay vne claire & diflinâe idée de moy-mcfme, en tant que ie fuis feulement vne chofe qui penfe, & non étendue, & que, d'vn autre, i'ay une claire & diflinâe idée I du corps, en tant qu'il ejt feulement vne chofe étendue, & qui ne penfe point, il efl certain que moy, c'efl à dire mon efprit, ou mon aine, par laquelle ie fuis ce que ie fuis, efl entièrement & véritable- ment dijlincle de mon corps, & qu'elle peut eflre ou exiger fans luy. A quoy il elt aifé d'adjoufler : Tout ce qui peut penfer efl efprit, ou s'apelle efprit. Mais puifque le corps & l'efprit font niellement dijlinâs, nul corps n'e/l efprit. Doncques nul corps ne peut penfer. 171 Et certes ( ie ne voy rien en cela que vous puifliez nier ; car nierez vous qu'il fuffit que nous conceuions clairement vne chofe fans vne autre, pour fçauoir qu'elles font réellement diltindes ? Donnez- nous donc quelque figne plus certain de la diftinftion réelle, fi toutesfois on en peut donner aucun. Car que direz- vous? Sera-ce que ces chofes là font réellement diilindes, chacune defquelles peut exifler fans l'autre? Mais de rechef ie vous demanderay, d'où vous connoiifez qu'vne chofe peut exiller fans vne autre. Car, afin que ce foit vn figne de dillinclion, il ell neceffaire qu'il foit connu.

Peut-eflre direz-vous que les fens vous le font connoillrc, parce que vous voyez vne chofe en l'abfence de l'autre, ou que vous la touchez, &c. Mais la foy des fens elt plus incertaine que celle de

�� �