Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, IX.djvu/70

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44 OEuvREs DE Descartes. ss-se.

deuë, mais plutoft cû vne priuation de quelque connoiffance qu'il femble que ie deurois polfeder. Et conliderant la nature de Dieu, il ne me femble pas polîible qu'il m'ait donné quelque faculté qui foit imparfaite en fon genre, c'eil à dire, qui manque de quelque perfedion qui luy foit deuë ; car s'il eft vray que plus l'artilan eft expert, plus les ouurages qui fortent de fes mains font parfaits & accomplis, quel eftre nous imaginerons-nous auoir eflé produit par ce fouuerain Créateur de toutes chofes, qui ne foit parfait & en- tièrement acheué en toutes fes parties? Et certes il n'y a point de doute que Dieu n'ait peu me créer tel que ie ne me peulTe iamais tromper; il efl certain auffi qu'il veut toufiours ce qui eft le meil- leur : m'eft-il donc plus auantageux de faillir, que de ne point faillir? Confiderant cela auec plus d'attention, il me vient d'abord en la

64 penfée que ie ne me dois point eitonlner, fi mon intelligence n'eft pas capable de comprendre pourquoy Dieu fait ce qu'il fait, & qu'ainfi ie n'ay aucune raifon de douter de fon exiftence, de ce que peut-eftre ie voy par expérience beaucoup d'autres chofes, fans pouuoir comprendre pour quelle raifon ny comment Dieu les a produites. Car, fçachant défia que ma nature eft extrêmement foible & limitée, & au contraire que celle de Dieu eft immenfe, incom- prehenfible, & infinie, ie n'ay plus de peine à reconnoiftre qu'il y a vne infinité de chofes en fa puiffance, defquelles les caufes fur- paffent la portée de mon efprit. Et cette feule raifon eft fuffiiante pour me perfuader que tout ce genre de caufes, qu'on a couftume de tirer de la fin, n'eft d'aucun vfage dans les chofes Phyfiques, ou naturelles; car il ne me femble pas que ie puiffe fans témérité rechercher & entreprendre de découurir les fins impénétrables de Dieu.

De plus il me tombe encore en l'efprit, qu'on ne doit pas confi- derer vne feule créature feparement, lorfqu'on recherche fi les ouurages de Dieu font parfaits, mais généralement toutes les créa- tures enfemble. Car la mefme chofe qui pourroit peut-eftre auec quelque forte de raifon fembler fort | imparfaite, fi elle eftoit toute feule, fe rencontre tres-parfaite en fa nature, fi elle eft regardée comme partie de tout cet Vniuers. Et quoy que, depuis que i'ay fait deffein de douter de toutes chofes, ie n'ay connu certainement

65 que mon exiftence & celle de Dieu, [ toutesfois aulfi, depuis que i'ay reconnu l'infinie puiffance de Dieu, ie ne fçaurois nier qu'il n'ait produit beaucoup d'autres choies, ou du moins qu'il n'en puiffe produire, en forte que i'cxifte & fois placé dans le monde, comme faifant partie de rvniuerf(al)ité de tous les eftres.

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