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74-75. Méditations. — Sixième. ^9

gination, ie croy que, pour les examiner plus commodément, il ell: à I propos que l'examine en rnelme temps ce que c'eft que fentir, l^ que ie voye fi des idées que ie reçoy en mon efprit par cette façon de penfer, que l'appelle fentir, ie puis tirer quelque preuue certaine de l'exiflence des chofes corporelles.

Et premièrement ie rappelleray dans ma mémoire quelles font les chofes que i'ay cy-deuant tenues pour vrayes, comme les ayant re- ceuës par les fens, & fur quels fondemens ma créance eftoit appuyée. En après, i'examineray les raifons qui m'ont obligé depuis à les reuoquer en doute. Et enfin ie confidereray ce que l'en dois main- tenant croire.

Premièrement doncques i'ay fenty que i'auois vne teHe, des mains, des pieds, & tous les autres membres dont eft compofé ce corps que ie confiderois comme vne partie de moy-mefme, ou peut-eflre aufli comme le tout. De plus i'ay fenty que ce corps elloit placé entre beaucoup d'autres, defquels il eftoit capable de receuoir diuerfes commoditez & incommoditez, & ie remarquois ces ccmmoditez par vn certain fentiment de plaifir ou < de > » volupté, & les " incommo- ditez par vn fentiment de douleur. Et outre ce plaifir & cette douleur, ie reffentois auffi en moy la faim, la foif, & d'autres femblables appé- tits, comme auffi de certaines inclinations corporelles vers la ioye, la trifteffe, la colère, & autres femblables pallions. Et au-dehors, outre l'extenfion, les figures, j les mouuemens des corps, ie remar- quois en eux de la dureté, de la chaleur, & toutes les autres qua- litez qui tom|bent fous l'attouchement. De plus l'y remarquois de la lumière, des couleurs, des odeurs, des faueurs & des fons, dont la variété me donnoit moyen de diltinguer le Ciel, la Terre, la Mer, & généralement tous les autres corps les vns d'auec les autres.

Et certes, confiderant les idées de toutes ces qualitez qui le pre- fentoient à ma penfée, & lefquelles feules ie fentois proprement & immédiatement, ce n'elloit pas fans raifon que ie croyois fentir des chofes entièrement différentes de ma penfée, à fçauoir des corps d'où procedoient ces idées. Car i'experimentois qu'elles fe prefen- toient à elle, fans que mon confentement y fuft requis, en forte que ie ne pouuois fentir aucun objet, quelque volonté que l'en euffe, s'il ne fe trouuoit prefent à l'organe d'vn de mes fens ; & il n'eftoit nullement en mon pouuoir de ne le pas fentir, lorfqu'il s'y trouuoit prefent.

a. Ce de, omis dans la r' édit., a été rétabli dès la seconde.

b. Sic les [i" édit.). Lire ces ? (2^ et 3' édit.].

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