Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, IX.djvu/89

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

79-80. Méditations. — Sixième. 63

gence. De plus, il fe rencontre en moy vne certaine faculté paffiue de fentir, c'ell à dire de receuoir & de connoiftre les idées des chofes fenfibles; mais elle me feroit inutile, & ie ne m'en pourois aucune- ment feruir, s'il n'y auoit en moy, ou en autruy, vne autre faculté adiue, capable de former & produire ces idées. Or cette faculté aftiue ne peut élire en moy en tant que ie ne fuis qu'vne chofe qui penfe, veu qu'elle ne prefupofe point ma penfée, & auiïi que ces idées-là me font fouuent reprefentées fans que i'y contribue en au- cune forte, & mefme fouuent contre mon gré; il faut donc neceffai- rement qu'elle foit en quelque fubitance différente de moy, dans laquelle toute la realité, qui eft obieftiuement dans les idées qui en font produites, foit contenue formellement ou éminemment (comme ie l'ay remarqué cy-deuant). Et cette fubftance efl: ou vn corps, c'eft à dire vne nature corporelle, dans laquelle eft contenu formel- lement & en effeél tout ce qui eft objedivement & par reprefenta- tion dans les idées; ou bien c'eft Dieu mefme, ou quelqu'autre créature plus noble que le corps, dans laquelle cela mefme eft con- tenu éminemment.

Or, Dieu n'eftant point trompeur, il eft tres-manifefte qu'il ne m'enuoye point ces idées immédiatement par luy-mefme, ny auffi par l'entremife de quelque créature, dans laquelle leur realité ne foit 1 pas contenue formellement, mais feulement éminemment. Car ne m'ayant donné aucune faculté pour connoiftre que cela foit, mais au contraire vne très-grande | inclination à croire qu'elles me font enuoyées ou qu'elles partent des chofes corporelles, ie ne voy pas comment on pouroit l'excufer de tromperie, û en effecl ces idées partoient ou eftoient produites par d'autres caufes que par des chofes corporelles. Et partant il faut confeft"er qu'il y a des chofes corporelles qui exiftent. •

Toutesfois elles ne font peut-eftre pas entièrement telles que nous les apperceuons par les fens, car cette perception des fens eft fort obfcure & confufe en plufieurs chofes; mais au moins faut-il auoiier que toutes les chofes que i'y conçoy clairement & diftinftement, c'eft à dire toutes les chofes, généralement parlant, qui font com- prifes dans l'objet de la Géométrie fpeculatiue, s'y retrouuent véri- tablement. Mais pour ce qui eft des autres chofes, lefquelles ou font feulement particulières, par exemple, que le Soleil foit de telle gran- deur & de telle figure, &c., ou bien font conceuës moins clairement & moins diftinctement, comme la lumière, le fon, la douleur, & autres femblables, il eft certain qu'encore qu'elles foient fort dou- teufes & incertaines, toutesfois de cela feul que Dieu n'eft point

�� �