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8i-82. Méditations. — Sixième. 65

puis tirer vne confequence tout à fait certaine, que mon corps (ou plutoil moy-mefme tout entier, en tant que ie fuis compofé du corps & de l'ame) peut receuoir diuerfes commoditez ou incommoditez des autres corps qui l'enuironnent.

I Mais il y a plufieurs autres chofes qu'il femble que la nature m'ait enfeignées, lefquelles toutesfois ie n'ay pas véritablement re- ceuës d'elle, mais qui fe font introduites en mon efprit par vne cer- taine coutume que i'ay de iuger inconfiderement des chofes; & ainfi il | peut ayfément arriuer qu'elles contiennent quelque fauf- 102 fêté. Comme, par exemple, l'opinion que i'ay que tout eipace dans lequel il n'y a rien qui meuue, & face impreffion fur mes fens, foit vuide; que dans vn corps qui eft chaud, il y ait quelque chofe de femhlable à l'idée de la chaleur qui eft en moy; que dans vn corps blanc ou noir, il y ait la mefme blancheur ou noirceur que ie fens; que dans vn corps amer ou doux, il y ait le mefme gouft ou la mefme faueur, & ainfi des autres; que les aftres, les tours & tous les autres corps efloignez foient de la mefme figure & grandeur qu'ils paroiffent de loin à nos yeux, &c.

Mais afin qu'il n'y ait rien en cecy que ie ne conçoiue diftinftc- ment, ie dois precifement définir ce que i'entens proprement lorfque ie dis que la nature m'enfeigne quelque chofe. Car ie prens icy la nature en vne fignification plus refferrée, que lorfque ie l'appelle vn aOemblage ou vne complexion de toutes les chofes que Dieu m'a données; veu que cet aflemblage ou complexion comprend beaucoup de choies qui n'appartiennent qu'à l'efprit feul, defquelles ie n'en- tens point icy parler, en parlant de la nature : comme, par exemple, la notion que i'ay de cette vérité, que ce qui a vne fois efté fait ne peut plus n'auoir point efté fait, & vne infinité d'autres femblables, que ie connois par la lumière naturelle fans l'ayde du corps, & qu'il en comprend auftl plufieurs autres qui n'appartiennent qu'au corps feul, & ne font point icy non plus contenues fous le nom de nature : comme la qua|lité qu'il a d'eflre pefant, & plufieurs autres 103 femblables, defquelles ie ne parle pas aufll, mais feulement des chofes que Dieu m'a données, comme ertant compofé de l'efprit & du corps. Or cette nature m'apprend bien à fuir les chofes qui caufent en moy le fentiment de la douleur, & à me porter vers celles qui me communiquent quelque fentiment de plaifir; mais ie ne voy point qu'outre cela elle m'apprenne que de ces diuerfes perceptions des fens nous dénions iamais rien conclure touchant les chofes qui font hors de nous, fans que l'efprit les ait foigneufement & meure- ment examinées. Car c'eft, ce" me femble, à l'efprit feul, & non Œuvres. IV. o

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