Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, V.djvu/280

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206 Correspondance.

» qu'elles n'ont aucun caractère de téms que Ton puisse rapporter prcci- » sèment à quelqu'une des années de la vie de nôtre Philosophe. C'est ce » qui m'a porté à donner ici, par manière d'addition, ce que j'en ay ap- » pris de M. Hartsoecker [en marge : ou Hartsoucre:, par le moyen de » M. de la Montre. »

« Dirck Rembrantsz étoit un paisan de Hollande, natif du village de » Niérop, vers les extrémitez de la Nort-Hollande qui regarde la Frise. ■1 L'exercice qu'il faisoit du rtétier de cordonnier, dans le lieu de sa nais- 11 sance, ne luy fournissoit que fort étroitement le nécessaire de sa sub- » sistance. Mais il avoit trouvé les moyens de vaincre sa fortune par une » connoissance exquise des Mathématiques, qu'il ne pouvoit s'empêcher » de cultiver souvent au préjudice du travail de ses mains. Le grand nom 11 de M. Descartes, joint au peu de satisfaction qu'il avoit reçu des livres » de Mathématiques qu'il avoit lus en langue vulgaire, le fit partir de son » village pour l'aller consulter. La renommée le lui avoit dépeint comme » l'homme du plus facile accez du monde; et l'idée qu'il avoit d'un Phi- » losophe retiré, ne luy persuadoit pas que l'entrée de sa solitude dût » être gardée par des Suisses. Cependant il fut rebuté par les gens de » M. Descartes comme un païsan téméraire, et l'on se contenta d'en » avertir le maître du logis après qu'on l'eût renvoyé. Rembrantsz revint » deux ou trois mois après dans le même équipage que la première fois, » et demanda à parler à M. Descartes, avec la résolution d'un homme » qui sembloit vouloir conférer avec luy sur des affaires importantes. Son » extérieur ne contribua point à lui procurer un meilleur accueil qu'au- » paravant; et lors qu'on en fut porter la nouvelle à M. Descartes, on le » luy dépeignit comme un mendiant importun, qui demandoit à luy » parler de Philosophie et d'Astrologie pour avoir quelque aumône. 11 M. Descartes donna dans la vision de ses gens; et- sans vouloir ap- » profondir la chose, il luy envoya de l'argent, et luy fit dire qu'il le dis- » pensoit de la peine de luy parler. Rembrantsz, à qui la pauvreté n'avoit 1) pas ôté le cœur, fit réponse, en refusant la libéralité de notre Philo- » sophe, que, puisque son heure n'étoit pas encore venue, il s'en retour- » noit pour un téms; mais qu'il espérait qu'un troisième voyage luy serait » plus utile. On rapporta cette réponse à M. Descartes, qui eût regret de » n'avoir pas vu le païsan, et qui donna ordre à ses gens de le remarquer, » s'il revenoit. »

« Rembrantsz revint quelques mois après; et s'étant fait reconnoitre » pour ce païsan à qui la passion de voir M. Descartes avoit déjà fait 11 faire deux voyages sans aucun fruit, il reçût enfin la satisfaction qu'il » avoit recherchée avec tant d'ardcur et de persévérance. M. Descartes, » ayant reconnu sur le champ son habileté et son mérite, voulut le payer » de toutes ses peines avec usure. Il ne se contenta pas de l'instruire de « toutes ses difficultez, et de luy communiquer sa Méthode pour rectifier 11 ses raisonnemens. Il le reçût encore au nombre de ses amis, sans que » la bassesse de sa condition le luy fit regarder au-dessous de ceux du

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