Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, V.djvu/513

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DLXXXVI. — 10 Février 16^0. 499

» Qu'il redouble mes maux avec ma patience, » Afin que de plus prés j'imite sa souffrance ; » Qu'il livre cette chair aux maux les plus cruels, » Qu'elle sourtre, s'il veut, des tourmens éternels, » Pourveu que sur mon ame il jette un œil propice, » Mon cœur avec plaisir luy tait ce sacrifice.

» En cet endroit M. Descartes sembla vouloir se reposer, soit qu'il fust » fatigué d'un si long enthousiasme, ou que ses douleurs l'empeschassent « de continuer ; et ce ne fut que quelques heures après, voyant M. Cha- » nut qui un peu cloic^né de luy ne pouvoit retenir ses larmes, il l'ap- i> pella, et, luy tendant la main, luy dit :

» Estes vous étonné de voir mourir des hommes, » Mon frère ? avez-vous donc oublié qui nous sommes ? » Eh, que fais-je aujourd'hui qu'obéir à mon sort, » Et remplir mon destin qui me doit à la mort? » Consentez que je paye, à cette heure dernière, " Ce que je dûs, deslors que je vis la lumière. » Payons de bonne grâce : et n'est-ce pas assez, » Pour en estre content, que dix lustres passez ? » Moins longs furent les jours du Vainqueur de l'Asie ; ^

» L'Homme-Dieu vescut moins, la source de la j^e, » Luy par qui tout subsiste, enfin luy qui vécut » Arbitre de son sort autant qu'il le voulut. » Ainsi par la vertu et non par la durée » Nostre vie icy-bas doit estre mesurée; » Eh, j'aurois donc vescu bien inutilement, " Si je n'avois appris a mourir un moment.

i> Monsieur Chanut.

» Vous me voyez saisi d'une extrême tristesse : » Je voids ce que je perds, et j'y pense sans cesse. » Mais, me trouverez-vous raisonnable en ce point ? )) Je me pleure moy-mesme et ne vous pleure point: » Vostre carrière est belle ; elle est digne d'envie. » Comme un grand Conquérant, au sortir de la vie )i Vous laissez l'Univers rempli de vostre nom: 1) Combien de Rois au monde auront moins de renom ! » Vous ne mourrez pas tout : de l'oubli garantie, I) Toujours vivra de vous une illustre partie. » Tant que l'homme voudra sa raison cultiver, B Vos Ecrits de la mort sçauront se préserver; )) Mais c'est moy que je plains : seul, triste, inconsolable, » Comment repareray-je une perte semblable r

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