Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, V.djvu/71

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ſition des parties de noſtre cerueau, ſoit que cette diſpoſition ait eſte miſe en luy par les obiets des ſens, ſoit par quelqu’autre cauſe. Car les obiets qui touchent nos ſens meuuent par l’entremiſe des nerfs quelques parties de noſtre cerueau, & y ſont comme certains plis, qui ſe défont lors que l’obiet ceſſe d’agir ; mais la partie où ils ont eſté faits demeure par après diſpoſée à eſtre pliée derechef en la meſme façon par vn autre obiet qui reſſemble en quelque choſe au précèdent, encore qu’il ne luy reſſemble pas en tout. Par exemple, lors que i’eſtois enfant, i’aimois vne fille de mon âge, qui eſtoit vn peu louche ; au moyen de quoy, l’impreſſion qui ſe faiſoit par la veuë en mon cerueau, quand ie regardois | ſes yeux égarez, ſe ioignoit tellement à celle qui s’y faiſoit auſſi pour émouuoir en moy la paſſion de l’amour, que long-temps après, en voyant des perſonnes louches, ic me ſentois plus enclin à les aimer qu’à en aimer d’autres, pour cela ſeul qu’elles auoient ce défaut ; & ie ne ſçauois pas neantmoins que ce fuſt pour cela. Au contraire, depuis que i’y ay fait reflexion, & que i’ay reconnu que c’eſtoit vn défaut, ie n’en ay plus eſté émeu. Ainſi, lors que nous ſommes portez à aimer quelqu’vn, ſans que nous en ſçachions la cauſe, nous pouuons croire que cela vient de ce qu’il y a quelque choſe en luy de ſemblable à ce qui a eſté dans vn autre obiet que nous auons aimé auparauant, encore que nous ne ſçachions pas ce que ceſt. Et bien que ce ſoit plus ordinairement vne perfection qu’vn défaut, qui nous attire ainſi à l’amour ; toutesfois, à cauſe que ce peut eſtre quelquefois vn défaut, comme en l’exemple que i’ay apporté, vn homme ſage ne ſe