Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, XII.djvu/364

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vérité, Je pense, il pouvait aussitôt déduire de la pensée seule tout le reste : pensée imparfaite, qui est la sienne propre, et pensée parfaite qui est Dieu, ensuite essences matérielles, ou le monde, etc. En ajoutant, comme il l’a fait. Donc je suis, il compliquait sa métaphysique d’une question oiseuse et insoluble, celle de l’existence. Sa doctrine n’y gagnait rien en vérité ; car ou bien l’existence se confond, s’identifie, avec la pensée même déjà affirmée, et l’affirme une fois de plus, inutilement ; ou bien elle est autre chose, et c’est alors la porte rouverte à toutes ces disputes scolastiques, que notre philosophe espérait exclure à jamais ; pis que cela, rouverte au scepticisme, cette fois inexpugnable, dont il s’était imaginé avoir raison. Gassend, par exemple, le prend à parti, au sujet de la réalité objective de nos idées[1] : en quoi consiste-t-elle, sinon dans cette portion des choses que notre esprit peut connaître, c’est-à-dire en quelque sorte absorber et s’assimiler ? Mais ne laisse-t-il pas en dehors une sorte de résidu ? Et qui nous dit que ce résidu n’est pas l’essentiel, la substance même de la chose, dont nous ne connaissons que l’apparence intelligible ? On ne saurait se croire maître d’une place forte, tant que résiste comme un suprême réduit, où l’on n’a pas pénétré : c’est peut-être le donjon, d’où l’on a toujours à redouter une sortie offensive de l’ennemi pour déloger l’assaillant des positions qu’il occupe et qu’il croyait avoir conquises définitivement. Dans ses Réponses aux secondes Objections, Descartes voit le danger et pense l’écarter ainsi[2] : pourquoi se mettre en peine de ce qui, en somme, est reconnu impénétrable à notre esprit ? On n’en saurait rien tirer ni pour ni contre ; c’est donc à l’égard de l’esprit quelque chose d’inexistant, une menace, si l’on veut, toujours suspendue, mais une menace imaginaire, un épouvantail d’enfants. A la bonne heure : mais alors toute existence, pour nous, est celle que notre esprit peut atteindre, et saisir, et tenir entièrement sous ses prises, autant dire une pensée claire et

  1. Tome VII, p. 258-277 et p. 350-361.
  2. Ibid., p. 144, l. 21, à p. 146, l. 13. Et t. IX, p. 113-114.