Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, XII.djvu/425

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l’alarme : cette hypothèse est fausse. Notre philosophe le déclare bien haut, et ce semble, avec un peu trop d’insistance. Car enfin, que veut-il dire par là ? Une chose bien simple au fond. A l’origine, Dieu a créé la matière et le mouvement ; comment était cette matière, et quels étaient ces mouvements, on n’en sait rien, et il est même impossible de le savoir. Mais, entre ce point de départ, qui se perd à l’origine des temps, et l’état actuel, qui est comme un point d’arrivée, matière et mouvement ont dû passer successivement par une infinité d’états intermédiaires, et c’est un de ces états auquel Descartes s’arrête : celui, n’importe lequel, dont il pourra commodément déduire l’état actuel des choses. Il aurait pu en choisir un autre ; il sait bien que cet état n’est pas l’état primitif, et que beaucoup l’ont précédé ; et c’est en cela, mais en cela seulement, que son hypothèse est fausse. Toutefois ne soyons point dupes des mots : elle est vraie en ce sens que c’est bien un des états par lesquels matière et mouvement ont nécessairement passé, et dans lequel ils se sont donc trouvés réellement ; en ce sens aussi surtout, que, déduites de là, les choses s’expliquent à merveille pour notre esprit. Avec son hypothèse physique. Descartes, une fois de plus, procède en mathématicien. Entre tant de possibilités, dont la succession est nécessaire, on peut toujours en choisir une, arbitrairement, et commencer par elle la chaîne des déductions. C’est ce que fait Descartes : ses principes se trouvent trop simples ; ils sont trop éloignés par là même de la complexité des choses : comment rejoindre celles-ci ? Notre philosophe ne remonte pas à leur lointaine origine ; il se transporte par la pensée à un effet plus rapproché de nous, à un état de la matière lorsqu’elle a déjà pris forme et figure. Peu importe que ce soit celui-ci ou celui-là : l’essentiel est qu’ensuite la déduction réussisse et rejoigne enfin la réalité.

Après avoir ainsi marqué le caractère de cette hypothèse, nous ne l’examinerons point en détail. Descartes suppose que la matière subtile a formé de petites boules, extrêmement agitées,