Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, XII.djvu/536

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

des nerfs, les mouvements des muscles et de tous les membres. Cette machine, qu’il compare* tantôt à une montre avec ses rouages et ses aiguilles, tantôt à un jeu d’orgues avec ses tuyaux et ses soufflets, tantôt à ces automates qu’on faisait mouvoir par une habile distribution des eaux dans les jardins du roi, explique la vie partout, dans la plante et dans l’animal, et jusque dans l’homme même. Nul besoin d’une âme « sensitive ni végétative », nul besoin d’aucune « forme substantielle » : toutes les fonctions vitales peuvent se comprendre sans cela.

Par contre, l’âme pourrait également se suffire à elle-même. Elle a ses actions propres, qui sont les actes de sa volonté, et aussi ses passions, au sens large d’abord: à savoir les idées qu’elle reçoit en elle. Mais elle a encore d’autres passions, toujours au sens large: à savoir des perceptions, des sentiments, qu’elle rapporte soit à des objets extérieurs, soit à ses organes corporels ; telles sont les qualités des corps, qu’elle connaît « comme dans les autres corps », et ces sentiments intérieurs, tels que la faim, la soif, qu’elle sent « comme dans son corps ». Elle a enfin des émotions qu’elle ne rapporte qu’à elle, qu’elle sent « comme en elle-même », bien qu’elle les sente aussi dans le corps, et en particulier dans le cœur : et ces émotions au sens restreint cette fois, qui est ici le sens propre, constituent précisément les passions. Toujours une agitation des esprits animaux s’y mêle, et toujours aussi quelque mouvement du sang. Elles apparaissent ainsi comme un effet naturel de l’union de l’âme et du corps. Sans cette union, point de passions. Mais sans les passions, non plus, point d’union. L’âme serait dans le corps comme une étrangère. On aurait, d’un côté, un corps humain, et de l’autre, une âme humaine (ce nom même ne pourrrait plus lui convenir) ; on n’aurait point cet être composé des deux, qui est pro-

a. Tome XI, p. 331, 1. 1-7, et p. 342, 1. 3-5 (montre); p. i65-i66 (orgues); et p. i3o-i3i (machines artificielles).

b. Tome II, p. 322.