Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, XII.djvu/91

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le dehors. Quant à sa vie intérieure, il sera ferme et résolu, il saura prendre parti, après réflexion, et n’aura ensuite, quoi qu’il arrive, ni regret ni remords. Pour le reste, acceptation pure et simple des événements, indifférence même à leur égard : à quoi bon nous mettre en peine de ce qui ne dépend pas de nous ?

Ces deux dernières maximes rappellent la sagesse stoïque, tandis que la première serait plutôt épicurienne, sans que Descartes d’ailleurs songe à les concilier. C’était assez l’usage des moralistes du temps, de prendre leur bien où ils le trouvaient, et de mettre à profit tout ce qui leur paraissait bon dans l’héritage de l’antiquité. D’abord Descartes parle un peu comme Montaigne, et ses protestations de respect à l’égard de la religion de son pays, toutes sincères qu’elles soient, ne doivent pas nous en imposer. En ce temps-là, les plus enclins au scepticisme, en parole et en pensée, se montraient, dans leurs actions, chrétiens et catholiques comme tout le monde, et la philosophie sceptique qu’enseignera, par exemple, un Charron ou un La Mothe le Vayer, sera une sceptique « chrétienne ». En outre, le christianisme de Descartes, soigneusement mis à part dans la première maxime, se trouve accompagné de deux autres maximes, qui n’ont plus rien de chrétien : l’acceptation raisonnable de l’ordre du monde n’est pas, tant s’en faut, la soumission filiale à la volonté d’un Dieu, père de tous les hommes ; quant à la confiance en soi-même, en soi tout seul, dont témoigne cette fermeté et résolution qu’il prend pour la vertu, et quant au mépris de tout remords comme inutile ensuite, ce sont là des choses qui jurent par trop avec l’humilité prêchée par l’Évangile. C’est l’homme de la nature qui parle sur ce ton, non sans noblesse d’ailleurs, mais sans aucun besoin ni souci de la grâce divine ; c’est le philosophe païen, fidèle à l’esprit de l’antiquité et de la renaissance.

Mais voici qui est plus grave encore. Descartes réserve pour la fin une quatrième maxime, toute personnelle, il est vrai, qui lui enjoint d’employer sa vie à la recherche de la