Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, XII.djvu/98

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d’y aller précisément de Venise : il y alla donc, le fait est presque certain. Montaigne y avait bien été, et sans rien omettre de ce qui se faisait en pareil cas : communion, par faveur spéciale, dans la chapelle même ; suspension, au mur de cette chapelle, d’un ex-voto, « un vœu », comme il l’appelle, le représentant lui Montaigne à genoux avec sa femme et sa fille devant une Notre-Dame, soit quatre figures en argent dans un tableau tout exprès apporté de France ; enfin divers achats, « pour près de cinquante bons écus », de cire, d’images, de patenôtres, agnus Dei, salvators, et autres telles denrées, dit-il, dont il y avait nombre de belles boutiques et richement fournies en ce lieu de dévotion[1]. Esprit libre, certes, et que les préjugés n’embarrassaient guère, Montaigne toutefois demeurait fidèle dans la conduite de sa vie aux pratiques du culte auquel sa naissance, son éducation et ses habitudes le tenaient attaché. Sans doute notre philosophe ne fit pas autrement, bien qu’avec plus de réserve peut-être. Outre ce vœu qui lui était échappé dans une nuit d enthousiasme, une curiosité bien naturelle pouvait aussi le pousser. Enfin un Français, un catholique, ancien élève des Pères, voyageant en Italie, et qui n’aurait pas été à Lorette, c’eût été un petit scandale ; et Descartes ne fut jamais d’humeur à scandaliser personne.

Rencontra-t-il alors un de ses compatriotes faisant le même pèlerinage, le P. de Bérulle, fondateur de l’Oratoire et futur cardinal ? On ne sait pas. Celui-ci passa à Rome l’automne de 1624, et Descartes s’y trouva au même temps. Le grand jubilé de 1625 allait s’ouvrir, le jour de Noël, 25 décembre 1624, au milieu d’un concours de catholiques venus de tous les pays du monde : nouvelle cérémonie, à laquelle, au dire de Baillet, notre philosophe voulut encore assister[2].

Quelques jours auparavant, il vit peut-être, dans cette même ville de Rome, un spectacle d’un autre genre : un hérétique

  1. Journal etc., p. 286-287.
  2. Baillet, t. I, p. 121-122.