Page:Deschamps, Émile - Œuvres complètes, t2, 1872.djvu/137

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Alors, pour oublier ce front de deuil couvert,
L’année, en folâtrant, dans les herbes se sauve,
Et tresse une couronne avec la pâle mauve
Et l’œillet encor rose et le thym encor vert.

Telle, au soir de la vie, il semble que renaisse,
Pour plusieurs, une courte et seconde jeunesse
Où le soleil d’amour brûle, comme à midi ;

Et le cœur qui dormait, se hâtant à revivre.
Chante à toutes les fleurs son réveil, et s’enivre
D’un nectar que demain l’âge aura refroidi.


II

À UNE MÈRE QUI PLEURE


Comme un voleur de nuit, chez vous la mort avide
S’est glissée ; et voilà qu’il dort sous le gazon
Le beau petit enfant, lui qui, dans la maison,
Tenait si peu de place… et laisse un si grand vide !

Quand le fil de nos jours lentement se dévide
Sur le fuseau fatal, et que notre toison
Tombe mûre et jaunie à l’arrière-saison,
Insensé qui se plaint du moissonneur livide !

Mais qui donc avec vous, qui ne gémirait pas,
Voyant que votre Abel se lasse au premier pas,
Que son rire si vite en un râle se change !…

Pourtant réfléchissons que Dieu dut bien l’aimer,
Puisqu’il le prend à l’âge où, sans le transformer,
De l’enfant rose et blond il va se faire un ange.