Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 2, Hachette, 1911.djvu/27

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Il ne faut pas croire que Grip fût le moins du monde un membre oisif et inutile de l’humble communauté. Grâce aux leçons de Barnabé, grâce au développement d’une espèce d’instruction naturelle commune à sa race, et à l’usage exercé qu’il faisait de ses rares facultés d’observation, il avait acquis un degré de sagacité qui l’avait rendu fameux à plusieurs milles à la ronde. Son esprit de conversation et ses à-propos surprenants étaient le sujet de l’admiration générale, et, comme il venait beaucoup de monde voir l’oiseau merveilleux, et que chaque visiteur laissait quelque souvenir de satisfaction pour son caquet (quand il lui plaisait de se prêter à la circonstance, car on sait qu’il n’y a rien de capricieux comme le génie), il gagnait de quoi ajouter un item important aux revenus du ménage. Bien mieux, l’oiseau lui-même avait l’air de savoir ce qu’il valait ; malgré la liberté sans réserve à laquelle il s’abandonnait en présence de Barnabé ou de sa mère, il gardait en public une étonnante gravité, et ne s’abaissait pas à donner jamais d’autres représentations gratis que d’aller becqueter la cheville des petits vagabonds qui se trouvaient là (c’était un exercice, par parenthèse, qui paraissait lui faire un plaisir infini), ou bien de tuer, par occasion, quelque poulet, ou enfin d’avaler le dîner des chiens du voisinage, dont le plus hargneux lui témoignait une crainte respectueuse.

Le temps s’était donc écoulé comme cela, sans qu’il fût rien survenu qui eût troublé ni changé l’uniformité de leur vie, lorsque, par une soirée de juin, ils étaient ensemble dans leur petit jardin, prenant un peu de repos après les fatigues du jour. La veuve avait encore son ouvrage sur ses genoux, et à ses pieds la paille nécessaire à ses travaux. Barnabé était debout, appuyé sur le manche de sa bêche, regardant le soleil couchant dans le lointain, et chantonnant tranquillement.

« Une brave soirée, ma mère ! Si nous avions seulement, en espèces sonnantes dans nos poches, quelques morceaux de cet or qui est empilé là-bas dans le ciel, nous serions riches pour le restant de nos jours.

— Nous sommes mieux comme nous sommes, répondit la veuve avec un sourire paisible. Il faut nous trouver contents, sans nous donner seulement le souci d’y penser, quand même il serait là reluisant à nos pieds.

— Oui ! dit Barnabé croisant ses bras sur sa bêche, et re-