Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 2, Hachette, 1911.djvu/52

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CHAPITRE VI.

Ne sachant où aller après, et effarouchés par la foule de gens qui étaient déjà sur pied, ils s’assirent à l’écart dans une des retraites du pont pour se reposer. Ils s’aperçurent bientôt que le courant d’activité générale se portait tout entier d’un côté, et qu’il y avait un nombre infini de personnes qui traversaient la Tamise de la rive de Middlesex à celle de Surrey, avec une précipitation extraordinaire et dans un état d’excitation évident. Elles étaient, le plus souvent, réunies par petits pelotons de deux ou trois, ou même d’une demi-douzaine, se parlaient peu, quelquefois observaient un silence absolu, et suivaient leur route d’un pas pressé, comme des gens absorbés par un but unique et commun.

Barnabé et sa mère furent surpris de voir presque tous les hommes de ce grand rassemblement, qui passaient devant eux sans discontinuer, porter une cocarde bleue à leur chapeau, et ceux qui n’avaient pas cette décoration, passants inoffensifs, se montrer inquiets et chercher timidement à éviter l’attention et les attaques des autres, auxquels ils laissaient le haut du pavé, par voie de conciliation. C’était d’ailleurs assez naturel, vu l’infériorité de leur nombre : car ceux qui portaient des cocardes bleues étaient à ceux qui n’en portaient pas dans la proportion de quarante ou cinquante au moins contre un. Cependant on ne voyait point de querelles. Les cocardes bleues se pressaient comme des essaims, cherchant à se passer l’une l’autre, et se hâtant de tout leur pouvoir au milieu de la multitude, échangeant seulement un regard, et encore pas toujours, avec les passants qui n’appartenaient pas à leur association.

Au commencement, le courant populaire s’était borné à occuper les deux trottoirs ; un petit nombre de traînards seulement se rencontraient sur la chaussée. Mais, au bout d’une demi-heure environ, le passage fut complétement