Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/103

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des plus utiles, car personne n’osait s’attaquer à ceux qu’il daignait honorer de sa bienveillance. Il ne pouvait me défendre vis-à-vis de M. Creakle, qui était très-sévère pour moi ; il n’essayait même pas ; mais quand j’avais eu à souffrir encore plus que de coutume, il me disait que je n’avais pas de toupet ; que, pour son compte, jamais il ne supporterait un pareil traitement ; cela me redonnait un peu de courage, et je lui en savais gré. La sévérité de M. Creakle eut pour moi un avantage, le seul que j’aie jamais pu découvrir. Il s’aperçut un jour que mon écriteau le gênait quand il passait derrière le banc, et qu’il voulait me donner, en circulant, un coup de sa canne, en conséquence l’écriteau fut enlevé, et je ne le revis plus.

Une circonstance fortuite vint encore augmenter mon intimité avec Steerforth, et cela d’une manière qui me causa beaucoup d’orgueil et de satisfaction. Un jour qu’il me faisait l’honneur de causer avec moi pendant la récréation, je me hasardai à lui faire observer que quelqu’un ou quelque chose (j’ai oublié les détails), ressemblait à quelqu’un ou à quelque chose dans l’histoire de Peregrine Pickle. Steerforth ne répondit rien ; mais le soir, pendant que je me déshabillais, il me demanda si j’avais cet ouvrage.

Je lui dis que non, et je lui racontai comment je l’avais lu, de même que tous les autres livres dont j’ai parlé au commencement de ce récit.

« Est-ce que vous vous en souvenez ? dit Steerforth.

— Oh ! oui, repondis-je ; j’avais beaucoup de mémoire, et il me semblait que je me les rappelais à merveille.

— Écoutez-moi, Copperfield, dit Steertorth, vous me les raconterez. Je ne peux pas m’endormir de bonne heure le soir, et je me réveille généralement de grand matin. Nous les prendrons les uns après les autres. Ce sera juste comme dans les Mille et une Nuits. »

Cet arrangement flatta singulièrement ma vanité, et le soir même, nous commençâmes à le mettre à exécution. Je ne saurais dire, et je n’ai nulle envie de le savoir, comment j’interprétai les œuvres de mes auteurs favoris ; mais j’avais en eux une foi profonde, et je racontais, autant que je puis croire, avec simplicité et avec gravité ce que j’avais à raconter : ces qualités-là faisaient passer par-dessus bien des choses.

Il y avait pourtant un revers à la médaille ; bien souvent la soir je tombais de sommeil, ou bien j’étais ennuyé et peu disposé à reprendre mon récit, et alors c’était bien pénible ; mais il