Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/113

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

qui travaillait tout seul, en amateur, sans l’aide d’aucun livre (il les savait tous par cœur, me disait-il), jusqu’à ce qu’on eut trouvé un nouveau répétiteur. Cet important personnage nous vint d’une école secondaire, et avant d’entrer en fonctions, il dîna un jour chez M. Creakle, pour être présenté à Steerforth. Steerforth voulut bien lui donner son approbation, et nous dit qu’il avait du chic. Sans savoir exactement quel degré de science ou de mérite ce mot impliquait, je respectai infiniment notre nouveau maître sans me permettre le moindre doute sur son savoir éminent et pourtant il ne se donna jamais pour ma chétive personne le quart de la peine que s’était donnée M. Mell.

Il y eut, pendant ce second semestre de ma vie scolaire, un autre événement, qui fit sur moi une impression qui dure encore et cela pour bien des raisons.

Un soir que nous étions tous dans un terrible état d’agitation, M. Creakle, frappant à droite et à gauche dans sa mauvaise humeur, Tungby entra et cria de sa plus grosse voix : « Des visiteurs pour Copperfield ! »

Il échangea quelques mots avec M. Creakle, lui demanda dans quelle pièce il fallait faire entrer les nouveaux venus ; puis on me dit de monter par l’escalier de derrière pour mettre un col propre, et de me rendre ensuite dans le réfectoire. J’étais debout, suivant la coutume, pendant ce colloque, prêt à me trouver mal d’étonnement. J’obéis, dans un état d’émotion difficile à décrire ; et avant d’entrer dans le réfectoire, à la pensée que peut-être c’était ma mère, je retirai ma main qui soulevait déjà le loquet, et je versai d’abondantes larmes. Jusque-là je n’avais songé qu’à la possibilité de voir apparaître M. ou Mlle Murdstone.

J’entrai enfin ; et d’abord je ne vis personne mais je sentis quelqu’un derrière la porte, et là, à mon grand étonnement, je découvris M. Peggotty et Cham, qui me tiraient leurs chapeaux avec la plus grande politesse. Je ne pus m’empêcher de rire, mais c’était plutôt du plaisir que j’avais à les voir que de la drôle de mine qu’ils faisaient avec leurs plongeons et leurs révérences. Nous nous donnâmes les plus cordiales poignées de main, et je riais si fort, mais si fort, qu’à la fin je fus obligé de tirer mon mouchoir pour m’essuyer les yeux.

M. Peggotty, la bouche ouverte pendant tout le temps de sa visite, parut très-ému lorsqu’il me vit pleurer, et il fit signe à Cham de me dire quelque chose.