Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/13

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il acheta cette maison, il se plaisait à penser qu’il y avait des nids de corbeaux dans les alentours. »

Le vent du soir s’élevait, et les vieux ormes du jardin s’agitaient avec tant de bruit, que ma mère et miss Betsy jetèrent toutes deux les yeux de ce côté. Les grands arbres se penchaient l’un vers l’autre, comme des géants qui vont se confier un secret, et qui, après quelques secondes de confidence, se relèvent brusquement, secouant au loin leurs bras énormes, comme si ce qu’ils viennent d’entendre ne leur laissait aucun repos : quelques vieux nids de corbeaux, à moitié détruits par les vents, ballottaient sur les branches supérieures, comme un débris de navire bondit sur une mer orageuse.

« Où sont les oiseaux ? demanda miss Betsy.

— Les… ? » Ma mère pensait à toute autre chose.

« Les corbeaux ?… où sont-ils passés ? redemanda miss Betsy.

— Je n’en ai jamais vu ici, dit ma mère. Nous croyions… M. Copperfield avait cru… qu’il y avait une belle rookery, mais les nids étaient très anciens et depuis longtemps abandonnés.

— Voilà bien David Copperfield ! dit miss Betsy. C’est bien là lui, d’appeler sa maison la rookery, quand il n’y a pas dans les environs un seul corbeau, et de croire aux oiseaux parce qu’il voit des nids !

— M. Copperfield est mort, repartit ma mère, et si vous osez me dire du mal de lui… »

Ma pauvre mère eut un moment, je le soupçonne, l’intention de se jeter sur ma tante pour l’étrangler. Même en santé, ma mère n’aurait été qu’un triste champion dans un combat corps à corps avec miss Betsy ; mais à peine avait-elle quitté sa chaise qu’elle y renonça, et se rasseyant humblement, elle s’évanouit.

Lorsqu’elle revint à elle, peut-être par les soins de miss Betsy, ma mère vit sa tante debout devant la fenêtre ; l’obscurité avait succédé au crépuscule, et la lueur du feu les aidait seule à se distinguer l’une l’autre.

« Eh bien ! dit miss Betsy, en revenant s’asseoir, comme si elle avait contemplé un instant le paysage, eh bien, quand comptez-vous ?…

— Je suis toute tremblante, balbutia ma mère. Je ne sais ce qui m’arrive. Je vais mourir, c’est sûr.

— Non, non, non, dit miss Betsy, prenez un peu de thé.

— Oh ! mon Dieu, mon Dieu ! croyez-vous que cela me fasse un peu de bien ? répondit ma mère d’un ton désolé.