Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/147

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M. Murdatone, je crois qu’elle l’aurait fait par amour pour moi, plutôt que d’entrer dans la meilleure maison qu’il y eut au monde. Mais enfin, se voyant remerciée, elle me dit qu’il fallait nous quitter et pourquoi, et nous nous lamentâmes de concert, en toute sincérité.

Quant à moi et à l’avenir qui m’était réservé, je n’en entendais pas dire un mot, je ne voyais pas faire une seule démarche. Ils auraient bien voulu, je pense, pouvoir se débarrasser de moi comme de Peggotty avec un mois de gages. Je rassemblai un soir tout mon courage pour demander à miss Murdstone quand je devais partir pour la pension, mais elle me dit sèchement qu’elle croyait que je n’y retournerais pas. Ce fut tout. J’étais très-inquiet de savoir ce qu’on allait faire de moi ; Peggotty s’en préoccupait aussi, mais ni elle ni moi ne pouvions obtenir aucun renseignement sur ce sujet.

Il s’était opéré dans ma situation un changement qui, tout en me délivrant de grands ennuis pour le moment présent, aurait pu, si j’avais su y réfléchir sérieusement, me donner fort à penser sur l’avenir. Voici le fait : La contrainte qu’on m’imposait avait complètement disparu. On tenait si peu à me voir rester à mon triste poste dans le salon, que plusieurs fois miss Murdstone me fit signe, en fronçant les sourcils, de m’éloigner au moment où je venais de m’asseoir ; on me défendait si peu de rechercher la société de Peggotty, que, pourvu que je ne fusse pas en la présence de M. Murdstone, on ne s’occupait pas de me chercher ni de demander jamais où je pouvais être. J’étais d’abord effrayé de l’idée qu’il allait se charger de continuer mon éducation, peut-être même que ce serait miss Murdstone qui se dévouerait à cette tâche ingrate, mais j’en vins bientôt à penser que mes craintes étaient sans fondement et que j’en serais quitte pour être abandonné.

Je ne vois pas que cette découverte m’ait causé beaucoup de chagrin alors : j’étais encore étourdi du coup que m’avait porté la mort de ma mère, et par suite indifférent pour les choses de ce monde. Je me rappelle bien avoir réfléchi de temps en temps qu’il était possible que je n’apprisse plus rien, que je ne reçusse plus de soins de personne ; que je devinsse un triste sire, destiné à passer son inutile vie à flâner dans le village ; je me souviens aussi de m’être demandé si ce ne serait pas une chose faisable d’éviter les malheurs que je prévoyais en m’en allant, comme un héros de roman, chercher fortune ailleurs, mais ce n’étaient que des visions passagères,