Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/161

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en titre et qui ouvrais à M. Barkis des horizons inconnus. Je lui dis tout ce que je savais ; il aurait cru volontiers tout ce qui aurait pu me passer par la tête, tant il était convaincu de l’étendue de mon intelligence : il alla même jusqu’à déclarer à sa femme, moi présent, que j’étais un petit Roschius ; je compris qu’il voulait dire par là que j’étais un petit prodige.

Le sujet des étoiles épuisé, ou plutôt les facultés de compréhension de M. Barkis arrivées à leur terme, la petite Émilie s’enveloppa avec moi dans un vieux manteau qui nous abrita pendant le reste du voyage. Ah ! je l’aimais bien ! Quel bonheur me disais-je, si nous étions mariés, et si nous allions vivre dans les champs, au milieu des arbres, sans jamais vieillir, sans jamais en savoir davantage, toujours enfants, toujours vaguant, en nous donnant la main, dans les prairies pleines de fleurs, par un beau soleil, posant notre tête la nuit tout près l’un de l’autre sur un lit de mousse, pour dormir d’un sommeil pur et paisible, en attendant que nous fussions enterrés par les petits oiseaux après notre mort ! Ce tableau fantastique, bien éloigné du monde réel, brillant de l’éclat de notre innocence, et aussi vague que les étoiles au-dessus de nos têtes, me trotta dans la tête tout le long du chemin. Je suis bien aise de penser que Peggotty avait pour compagnons le jour de son mariage deux coœurs aussi candides que celui de la petite Émilie et le mien. Les Amours et les Grâces, cortège indispensable et classique du dieu d’Hymen, n’auraient pas mieux fait.

Nous arrivâmes donc heureusement à la porte du vieux bateau ; là M. et mistress Barkis nous dirent adieu, pour prendre le chemin de leur demeure. Je sentis alors pour la première fois que j’avais perdu Peggotty. J’aurais eu le cœur bien gros ce soir-là si j’avais reposé ma tête sous un autre toit que celui qui abritait la petite Émilie.

M. Peggotty et Ham savaient aussi bien que moi ce que j’éprouvais, et m’attendaient à souper avec leurs visages honnêtes et affectueux pour chasser mes tristes pensées. La petite Émilie, de son côté, vint s’asseoir sur la caisse qui nous servait de siège. Ce fut la seule fois pendant tout mon séjour, et ce fut aussi la charmante clôture de cette charmante journée.

Ce soir-là, c’était marée montante, et peu de temps après notre coucher, M. Peggotty et Ham sortirent pour pêcher. Je me sentais tout fier de rester dans cette maison solitaire pour protéger mistress Gummidge et la petite Émilie ; je ne demandais