Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/177

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

je roulais dans ma tête, tout le long da chemin, les calculs de mistress Micawber sur leurs chances et leurs ressources ; je me sentais accablé par les dettes de M. Micawber. Le samedi soir, jour de grande fête pour moi, d’abord parce que j’étais au moment d’avoir six ou sept shillings dans ma poche, et de pouvoir regarder les boutiques en imaginant tout ce que je pouvais acheter avec cette somme, ensuite parce que je rentrais plus tôt à la maison, Mistress Micawber me faisait en général les confidences les plus déchirantes qu’elle renouvelait souvent le dimanche matin, pendant que je déjeunais lentement en avalant le thé ou le café que j’avais acheté la veille au soir, et que je versais dans un vieux pot à confitures. Il n’était pas rare que M. Micawber fondît en larmes au commencement de ces conversations du samedi soir pour finir ensuite par chanter une romance sentimentale. Je l’ai vu rentrer pour souper, en sanglotant et en déclarant qu’il ne lui restait plus qu’à aller en prison, puis se coucher en calculant ce que coûterait un balcon pour les fenêtres du premier étage, dans le cas « où il lui arriverait une bonne chance, » suivant son expression favorite. Mistress Micawber était douée de la même facilité d’humeur.

Une égalité étrange dans notre amitié, née, je suppose, de notre situation respective, s’établit entre cette famille et moi, malgré l’immense différence de nos âges respectifs. Mais je ne consentis jamais à accepter aucune invitation à manger ou à boire à leurs frais, (sachant qu’ils avaient bien du mal à satisfaire le boucher et le boulanger, et qu’ils avaient à peine le nécessaire) tant que mistress Micawber ne m’eût pas admis à sa confiance la plus entière. Un soir, elle finit par là.

« Monsieur Copperfield, dit-elle, je ne veux pas vous traiter en étranger, et je n’hésite pas à vous dire que la crise approche pour les affaires de M. Micawber ».

J’éprouvai un vrai chagrin en apprenant cette nouvelle, et je regardai les yeux rouges de mistress Micawber avec la plus profonde sympathie.

« À l’exception d’un morceau de fromage de Hollande, ressource insuffisante pour les besoins de ma jeune famille, dit Mistress Micawber, il n’y a pas une miette de nourriture dans le garde-manger. J’ai pris l’habitude de parler de garde-manger quand je demeurais chez papa et maman, et j’emploie cette expression sans y penser. Ce que je veux dire, c’est qu’il n’y a rien à manger dans la maison.