Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/184

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de ma jeunesse, je m’étonne de voir les romans que j’inventais alors pour ces gens-là flotter encore comme un brouillard fantastique sur des faits réels toujours présents à ma mémoire) ! Mais, quand je passe par ce chemin si souvent marqué de mes pas, je ne m’étonne pas de voir marcher devant moi un enfant innocent, d’un esprit romanesque qui crée un monde imaginaire de son étrange vie et de la misère dont il fait l’expérience ; je le plains seulement.


Enfin, l’affaire de M. Micawber ayant été appelée, et sa réclamation entendue, sa mise en liberté fut ordonnée en vertu de la loi sur les débiteurs insolvables. Ses créanciers ne furent pas trop implacables, et M. Micawber m’informa que le terrible bottier lui-même avait déclaré en plein tribunal qu’il ne lui en voulait pas ; que seulement, quand on lui devait de l’argent, il aimait à être payé ; il me semble, disait-il, que c’est dans la nature humaine.

M. Micawber retourna en prison après l’arrêt, parce qu’il y avait des frais de justice à régler, et des formalités à remplir avant son élargissement. Le club le reçut avec transport, et tint une réunion ce soir-là en son honneur, tandis que mistress Micawber et moi mangions une fricassée d’agneau en particulier, entourés des enfants endormis.

« En cette occasion, je vous propose, monsieur Copperfield, dit mistress Micawber, de boire encore un petit verre de grog à la bière ; » il y avait déjà un bout de temps que nous n’en avions pris, à la mémoire de papa et maman.

— Sont-ils morts, madame ? demandai-je après lui avoir fait raison avec un verre à vin de Bordeaux.

— Maman a quitté la terre, dit mistress Micawber, avant le commencement des embarras de M. Micawber, ou du moins avant qu’ils devinssent sérieux. Mon papa a vécu assez pour servir plusieurs fois de caution à M. Micawber, après quoi il est mort, regretté de ses nombreux amis. »