Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/200

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de le presser. Je sortis donc de la boutique, et je m’assis à l’ombre dans un coin. Le temps s’écoula, le soleil m’atteignit dans ma retraite, puis disparut de nouveau, et j’attendais toujours mon argent.

J’espère, pour l’honneur de la corporation, qu’il n’y a jamais eu de fou, ni d’ivrogne pareil dans le négoce des vieux habits. Il était connu dans les environs comme jouissant de la réputation d’avoir vendu son âme au diable, à ce que j’appris bientôt par les visites qu’il recevait de tous les petits garçons du voisinage, qui faisaient à chaque instant irruption dans sa boutique, en lui criant, au nom de Satan, d’apporter son or.

« Tu n’es pas pauvre, Charlot tu le sais bien ; tu as beau dire. Montre-nous ton or. Montre-nous l’or que le diable t’a donné en échange de ton âme. Allons ! va chercher dans ta paillasse, Charlot. Tu n’as qu’à la découdre, et nous donner ton or. »

Ces cris, accompagnés de l’offre d’un couteau pour accomplir l’opération, l’exaspéraient à un tel degré qu’il passait toute sa journée à se précipiter sur les petits garçons, qui se débattaient contre lui, puis s’échappaient de ses mains. Parfois, dans sa rage, il me prenait pour l’un d’entre eux, et se jetait sur moi en me faisant des grimaces comme s’il allait me mettre en pièces ; puis, me reconnaissant à temps, il rentrait dans la boutique et s’étendait sur son lit, à ce qu’il me semblait d’après la direction de la voix ; là il hurlait sur son ton ordinaire la Mort de Nelson en plaçant un oh ! avant chaque vers de la complainte, et en parsemant le tout d’innombrables Goooos. Pour mettre le comble à mes malheurs, les petits garçons des environs, me croyant attaché à l’établissement, vu la persévérance avec laquelle je restais, à moitié vêtu, assis devant la porte, me jetaient des pierres en me disant des injures tout le long du jour.

Il fit encore plusieurs efforts pour me persuader de consentir à un échange ; une fois il apparut avec une ligne à pécher, une autre fois avec un violon ; un chapeau à trois cornes et une flûte me furent successivement offerts. Mais je résistai à toutes ces ouvertures, et je restai devant sa porte, désespéré, le conjurant, les larmes aux yeux, de me donner mon argent ou ma veste. Enfin il commença à me payer sou par sou, et il se passa deux heures avant que nous fussions arrivés à un shilling.

« Oh ! mes yeux, mes membres ! se mit-il alors à crier en