Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/241

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compris mieux alors ce qu’elle éprouvait, et ne lui fis pas l’injustice da croire qu’elle eût rien contre moi.

On dînait à cinq heures chez M. Wickfield ; j’avais repris courage et me sentais en appétit. Il n’y avait que deux couverts. Cependant Agnès, qui avait attendu son père dans le salon, descendit avec lui et s’assit en face de lui à table. Je ne pouvais pas croire qu’il dînât sans elle.

On remonta dans le salon après dîner, et dans le coin le plus commode, Agnès apporta un verre pour son père avec une bouteille de vin de Porto. Je crois qu’il n’aurait pas trouvé à son breuvage favori son parfum accoutumé, s’il lui avait été servi par d’autres mains.

Il passa là deux heures, buvant du vin en assez grande quantité, pendant qu’Agnès jouait du piano, travaillait et causait avec lui ou avec moi. Il était, la plupart du temps, gai et en train comme nous, mais parfois il la regardait, puis tombait dans le silence et dans la rêverie. Il me sembla qu’elle s’en apercevait aussitôt, et qu’elle essayait de l’arracher à ses méditations par une question ou une caresse. Alors il sortait de sa rêverie et se versait du vin.

Agnès fit les honneurs du thé, puis le temps s’écoula, comme après le dîner, jusqu’à l’heure du coucher. Son père la prit alors dans ses bras l’embrassa, puis après son départ il demanda des bougies dans son cabinet. Je montai me coucher aussi.

Pendant la soirée, j’étais sorti un moment dans la rue pour jeter un coup d’œil sur les vieilles maisons et sur la belle cathédrale, me demandant comment j’avais pu traverser cette ancienne ville dans mon voyage, et passer, sans le savoir, auprès de la maison où je devais demeurer bientôt. En revenant, je vis Uriah Heep qui fermait l’étude ; je me sentais en veine de bienveillance à l’égard du genre humain, et je lui dis quelques mots, puis en le quittant, je lui tendis la main. Mais quelle main humide et froide avait touché la mienne ! Je crus sentir la main d’un spectre, et elle en avait bien toute l’apparence. Je me frottai les mains pour réchauffer celle qui venait de rencontrer la sienne, et pour faire disparaître jusqu’à la trace de cet odieux attouchement.

Cette idée me poursuivait encore quand je montai dans ma chambre. Je croyais toujours sentir cette main humide et glacée. Je me penchai hors de la fenêtre, et j’aperçus une des figures sculptées au bout des solives, qui me regardait