Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/256

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doutait seulement pas le moins du monde de ce qui se passait. Une fois sorti de ses domaines et dépourvu de toute protection, c’était comme une brebis égarée la proie du premier mécréant qui voulait tondre sa toison. Il aurait volontiers déboutonné ses guêtres pour les donner. À vrai dire, il courait parmi nous une histoire, remontant à je ne sais quelle époque, et fondée sur je ne sais quelle autorité, mais que je crois encore véritable ; on disait que par un jour d’hiver, où il faisait très-froid le docteur avait positivement donné ses guêtres à une mendiante, qui avait ensuite excité quelque scandale dans le voisinage, en promenant de porte en porte un petit enfant enveloppé dans ces langes improvisés, à la surprise générale, car les guêtres du docteur étaient aussi connues que la cathédrale dans les environs. La légende ajoutait que la seule personne qui ne les reconnut pas fut le docteur lui-même, qui les aperçut peu de temps après à l’étalage d’une échoppe de revendeuse mal famée, où l’on recevait toutes sortes d’effets en échange d’un verre de genièvre ; et qu’il s’arrêta pour les examiner d’un air approbateur, comme s’il y remarquait quelque perfectionnement nouveau dans la coupe qui leur donnait un avantage signalé sur les siennes.

Ce qui était charmant à voir, c’étaient les manières du docteur avec sa jeune femme. Il avait une façon affectueuse et paternelle de lui témoigner sa tendresse, qui semblait, à elle seule, résumer toutes les vertus de ce brave homme. On les voyait souvent se promener dans le jardin, près des espaliers, et j’avais parfois l’occasion de les observer de plus près dans le cabinet ou le salon. Elle me paraissait prendre grand soin de lui et l’aimer beaucoup ; mais l’intérêt qu’elle portait au dictionnaire me semblait assez faible, quoique les poches et la coiffe du chapeau du docteur fussent toujours encombrées de quelques feuillets de ce grand ouvrage dont il lui expliquait le plan en se promenant avec elle.

Je voyais souvent mistress Strong ; elle avait pris du goût pour moi le jour où M. Wickfield m’avait présenté à son mari, et elle continua toujours de s’intéresser à moi avec beaucoup de bonté ; en outre elle aimait beaucoup Agnès et venait souvent la voir ; mais elle semblait mal à son aise avec M. Wickfield, et je trouvais qu’elle avait toujours l’air d’avoir peur de lui. Quand elle venait chez nous le soir, elle évitait d’accepter son bras pour retourner chez elle, et c’est à moi qu’elle demandait de l’accompagner. Parfois, quand nous traversions