Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/270

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pendant bien longtemps, le mercredi où il devait venir me trouva inquiet de savoir si j’allais le voir sur l’impériale comme à l’ordinaire. Mais c’étaient de vaines alarmes, et j’apercevais toujours de loin ses cheveux gris, son visage joyeux son gai sourire, et il n’eut jamais rien à m’apprendre de plus sur l’homme qui avait la faculté rare de faire peur à ma tante.

Les mercredis étaient les jours les plus heureux de la vie de M. Dick, et n’étaient pas les moins heureux pour moi. Il fit bientôt connaissance avec tous mes camarades, et quoiqu’il ne prît jamais une part active dans tout autre jeu que celui du cerf-volant, il portait autant d’intérêt que nous à tous nos amusements. Que de fois je l’ai vu si absorbé dans une partie de billes ou de toupies, qu’il ne cessait de les regarder avec l’intérêt le plus profond, sans pouvoir même respirer dans les moments critiques ! Que de fois je l’ai vu, monté sur une petite éminence, surveiller de là tout le champ d’action où nous étions à jouer au cerf, et agiter son chapeau au-dessus de sa tête grise, oubliant entièrement la tête du roi Charles le martyr et toute son histoire malencontreuse ! Que d’heures je l’ai vu passer comme autant de bienheureuses minutes à regarder pendant l’été une grande partie de barres ! Que de fois je l’ai vu pendant l’hiver, le nez rougi par la neige et le vent d’est, rester près d’un étang à nous regarder patiner, pendant qu’il battait des mains dans son enthousiasme avec ses gants de tricot !

Tout le monde l’aimait, et son adresse pour les petites choses était incomparable. Il savait découper des oranges de cent manières différentes ; il faisait un bateau avec les matériaux les plus étranges ; il savait faire des pions pour les échecs avec un os de côtelette, tailler des chars antiques dans de vieilles cartes, faire des roues avec une bobine et des cages d’oiseaux avec de vieux morceaux de fil de fer ; mais il n’était jamais plus admirable que lorsqu’il exerçait son talent avec des bouts de paille ou de ficelle ; nous étions tous convaincus qu’il ne lui en fallait pas davantage pour exécuter tous les ouvrages que peut façonner la main de l’homme.

Le renom de M. Dick s’étendit bientôt plus loin. Au bout de quelques visites, le docteur Strong lui-même me fit quelques questions sur son compte, et je lui dis tout ce que ma tante m’en avait raconté. Le docteur prit un tel intérêt à ces détails, qu’il me pria de lui faire faire la connaissance de