Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/287

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pour leur piocher la tête à coups de poing ; il me défie tout haut quand je passe dans la rue. En conséquent de quoi je prends le parti de me battre avec le boucher.

C’est un soir, en été, dans un petit creux verdoyant, au coin d’un mur. Je trouve le boucher au rendez-vous. Je suis accompagné d’un corps d’élite choisi parmi mes camarades ; le boucher est arrivé avec deux autres bouchers, un garçon de café et un ramoneur. Les préliminaires réglés le boucher et moi nous nous trouvons face à face. En un instant, le boucher me fait voir trente-six mille chandelles par un coup assené sur le sourcil gauche. Une minute après, je ne sais plus où est le mur, où je suis, je ne vois plus personne. Je ne puis plus bien distinguer entre le boucher et moi ; il me semble que nous nous confondons l’un avec l’autre, en luttant corps à corps sur l’herbe foulée par nos pieds. Parfois j’aperçois le boucher ensanglanté, mais confiant ; parfois je ne vois rien, et je m’appuie, hors d’haleine, contre le genou de mon second ; d’autres fois je me lance avec furie contre le boucher, et je m’écorche les poings contre son visage, sans que cela ait l’air de le troubler le moins du monde. Enfin je m’éveille, la tête en mauvais état, comme si je sortais d’un profond sommeil, et je vois le boucher qui s’en va en remettant son habit ; il reçoit les compliments de ses confrères, du ramoneur et du garçon de café, d’où je conclus très-justement qu’il a remporté la victoire. On me ramène à la maison en mauvais état, on m’applique des biftecks sur les yeux, et on me frotte de vinaigre et d’eau-de-vie ; ma lèvre supérieure enfle peu à peu d’une façon désordonnée. Pendant trois ou quatre jours je reste à la maison, je ne suis pas beau à voir, je porte un abat-jour vert, et je m’ennuierais fort, si Agnès n’était pas une sœur pour moi ; elle compatit à mes infortunes, elle me fait la lecture tout haut, et grâce à elle le temps se passe rapidement et doucement. Agnès a toute ma confiance, je lui raconte en détail mon aventure avec le boucher et toutes les injures qu’il m’avait faites, et elle est d’avis que je ne pouvais faire autrement que de me battre avec lui, quoiqu’elle tremble et frissonne à l’idée de ce terrible combat.

Le temps s’est écoulé sans que j’y prisse garde, car Adams n’est plus alors à la tête de la classe, et il y a longtemps qu’il a quitté la pension. Il y a si longtemps que, lorsqu’il revient faire une visite au docteur Strong, il n’y a plus beaucoup d’élèves qui l’aient connu. Adam va entrer dans le barreau, il