Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/298

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tendresse pour son père, tant de reconnaissance pour les soins et l’affection qu’il lui avait témoignés, elle me demandait si évidemment d’être indulgent pour lui dans mes pensées, et de ne pas admettre des idées amères sur son compte ; elle semblait à la fois si fière de lui, si dévouée, si compatissante et si triste ; elle me disait si clairement qu’elle était sûre de mes sympathies, que toutes les paroles du monde n’auraient pu m’en dire davantage, ni m’émouvoir plus profondément.

Nous devions prendre le thé chez le docteur. En arrivant à l’heure ordinaire, nous le trouvâmes près du feu, dans le cabinet, avec sa jeune femme et sa belle-mère. Le docteur, qui semblait croire que je partais pour la Chine, me reçut comme un hôte auquel il voulait faire honneur, et demanda qu’on mît une bûche au feu afin de voir à la lueur de la flamme le visage de son ancien élève.

«  Je ne verrai plus beaucoup de nouveaux visages à la place de Trotwood, mon cher Wickfield, dit le docteur en se chauffant les mains ; je deviens paresseux et je veux me reposer. Je remettrai tous ces jeunes gens à d’autres mains dans six mois, pour mener une vie plus tranquille.

— Voilà dix ans que vous ne dites pas autre chose, docteur, répondit M. Wickfield.

— Oui, mais cette fois je suis décidé, dit le docteur ; le premier de mes sous-maîtres me succédera… Cette fois-ci c’est pour de bon… Et vous aurez bientôt à dresser un contrat entre nous, avec toutes les clauses obligatoires qui donnent à deux hommes d’honneur qui s’engagent l’air de deux coquins qui se défient l’un de l’autre.

— J’aurai aussi à prendre soin, n’est-ce pas, dit M. Wickfield qu’on ne vous attrape pas, ce qui arriverait infailliblement dans un arrangement que vous feriez vous-même. Eh bien ! je suis tout prêt, je voudrais n’avoir jamais de pire besogne dans mon état.

— Je n’aurai plus à m’occuper alors, dit le docteur, que de mon dictionnaire… et de cette autre personne avec laquelle j’ai contracté aussi un engagement… mon Annie ! »

M. Wickfield la regardait, elle était assise près de la table à thé avec Agnès, et elle me parut éviter les yeux du bon vieillard avec une hésitation et une timidité inaccoutumées qui attirèrent sur elle son attention, comme s’il lui venait à l’esprit quelque pensée secrète.