Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/305

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— N’est-ce pas quoi ? demanda son interlocuteur.

— Vous avez élevé des bidets du Suffolk en masse ?

— Je crois bien ! dit l’autre, il n’y a pas d’espèce de chevaux ni de chiens que je n’aie élevés. Il y a des hommes dont c’est la caprice, les chiens et les chevaux ; pour moi j’en perdrais le boire et le manger, je leur sacrifierais volontiers la maison, la femme, les enfants et tout le bataclan ; j’oublierais pour ça de lire, d’écrire, de compter, de fumer, de priser et de dormir.

— Vous m’avouerez que ce n’est pas la place d’un homme comme ça, derrière le siège du conducteur, n’est-ce pas ? me dit William à l’oreille, en arrangeant les guides. »

Je conclus de cette remarque qu’il désirait donner ma place à l’éleveur de chevaux, et j’offris en rougissant de la lui céder.

« Dans le fait si vous n’y tenez pas, monsieur, je crois que ce serait plus convenable, » dit William.

J’ai toujours considéré cette concession comme ma première faute dans la vie. Quand j’avais retenu ma place au bureau, j’avais fait inscrire à côté de mon nom : « Sur le siège du conducteur, » et j’avais donné une demi-couronne au teneur de livres. J’avais mis un paletot et un plaid tout neufs pour faire honneur à ce poste éminent, et j’étais assez fier de l’effet que je produisais sur le siège ; et voilà qu’à la première poste, je me laissais supplanter par un méchant calorgne, avec des habits râpés, qui n’avait d’autre mérite que de sentir l’écurie à plein nez, et d’être assez solide sur l’impériale pour passer par-dessus ma tête aussi légèrement qu’une mouche, pendant que les chevaux allaient au grand trot ! J’ai une certaine méfiance de moi-même qui m’avait déjà souvent joué de mauvais tours dans de petites occasions de ce genre, où j’aurais aussi bien fait de m’en passer ; ce petit incident dont l’impériale de la diligence de Canterbury était le théâtre, n’était pas fait pour la diminuer. Ce fut en vain que je cherchai un refuge dans ma grosse voix. J’eus beau parler du fond de l’estomac tout le reste du voyage, je sentais que j’étais complètement enfoncé, et ma jeunesse me faisait pitié.

C’était pourtant curieux et intéressant, après tout, de me voir trôner là sur l’impériale d’une diligence à quatre chevaux, bien mis, bien élevé, le gousset bien garni, reconnaissant en passant les lieux où j’avais couché pendant mon pénible voyage. Mes pensées trouvaient un ample sujet d’occupation