Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/306

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à chaque étape sur la route, en regardant passer les vagabonds, et on rencontrant ces regards que je reconnaissais si bien, il me semblait que je sentais encore la main droite du chaudronnier m’empoigner et me serrer le devant de ma chemise. En descendant l’étroite rue de Chatam, j’aperçus, en passant, la ruelle dans laquelle vivait le vieux monstre qui m’avait acheté ma veste, et j’avançai vivement la tête, pour regarder l’endroit où j’avais attendu si longtemps mon argent au soleil et à l’ombre. En approchant de Londres, quand on passa près de la maison où M. Creakle nous avait si cruellement battus, j’aurais donné tout ce que je possédais pour avoir la permission de descendre, de le rosser d’importance et de donner la clef des champs à tous ses élèves, pauvres oiseaux an cage.

Nous descendîmes à Charing-Cross, hôtel de la Croix-d’Or, espèce d’établissement moisi et étouffé. Un garçon m’introduisit dans la salle commune, et une servante me montra une petite chambre à coucher qui sentait une odeur de fiacre, et qui était aussi hermétiquement fermée qu’un tombeau de famille. J’avais ma grande jeunesse sur la conscience, je sentais bien que c’était pour cela que personne n’avait l’air de me respecter le moins du monde. La servante ne faisait aucun cas de mon opinion sur aucun sujet, et le garçon se permettait, avec une insolente familiarité, de m’offrir des conseils pour venir en aide à mon inexpérience.

« Voyons maintenant, dit le garçon d’un air d’intimité, qu’est-ce que vous voulez pour dîner ? les petits gentlemen aiment la volaille, en général ; prenez-moi un poulet. »

Je lui dis le plus majestueusement que je pus que je ne me souciais pas d’un poulet.

« Non ? dit le garçon. Les petits gentlemen sont las de boeuf et de mouton, en général, qu’est-ce que vous dites d’une côtelette de veau ? »

Je consentis à cette proposition, faute de savoir inventer autre chose.

« Est-ce que vous prendrez des pommes de terre ? dit le garçon avec un sourire insinuant et en penchant la tête de côté ; en général, les petits gentlemen sont rassasiés de pommes de terre. »

Je lui ordonnai, de ma voix la plus caverneuse, de commander une côtelette de veau avec des pommes de terre et les accessoires nécessaires, et de demander au bureau s’il n’y avait