Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/319

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de joie. Ce serait de l’affectation de ma part que de peindre quelque surprise de voir mon fils inspirer de si vives émotions, mais je ne puis être indifférente pour quelqu’un qui sent si profondément ce que vaut mon Steerforth : je suis donc enchantée de vous voir ici, et je puis vous assurer de plus qu’il a pour vous une amitié toute particulière ; vous pouvez compter sur sa protection. »

Miss Dartle jouait au trictrac avec l’ardeur qu’elle mettait à toutes choses. Si la première fois que je l’avais vue, elle eût été devant cette table, j’aurais pu m’imaginer que sa maigreur et ses yeux effarés étaient l’effet tout naturel de sa passion pour le jeu. Mais avec tout cela je me trompe fort, ou elle ne perdait pas un mot de la conversation et ne laissait pas passer inaperçu un seul des regards de plaisir avec lesquels je reçus les assurances de mistress Steerforth, honoré à mes yeux par sa confiance, et sentant dans mon amour-propre que j’étais bien plus âgé, depuis mon départ de Canterbury.

Sur la fin de la soirée, quand on eut apporté un plateau chargé de verres et de carafes, Steerforth, assis au coin du feu, me promit de penser sérieusement à m’accompagner dans mon voyage. « Nous avons le temps d’y songer, disait-il, nous avons bien huit jours devant nous, » et sa mère m’en dit autant avec beaucoup de bonté. En causant, il m’appela plusieurs fois Pâquerette ce qui attira sur nous les questions de miss Dartle.

« Voyons, réellement, monsieur Copperfield, est-ce un sobriquet ? demanda-t-elle ; et pourquoi vous le donne-t-il ? Est-ce… peut-être est-ce parce qu’il vous regarde comme un jeune innocent ? Je suis si maladroite à deviner ces choses-là. »

Je répondis en rougissant que je croyais qu’elle ne s’était pas trompée dans ses conjectures.

« Oh ! dit miss Dartle, je suis enchantée de savoir cela ! Je ne demande qu’à apprendre, et je suis enchantée de ce que vous me dites. Il vous regarde comme un jeune innocent, et c’est pour cela qu’il fait de vous son ami. Voilà qui est vraiment charmant ! »

Elle alla se coucher par là-dessus, et mistress Steerforth se retira aussi. Steerforth et moi, après avoir passé une demi-heure près du feu à parler de Traddles et de tous nos anciens camarades, nous montâmes l’escalier ensemble. La chambre de Steerforth était à côté de la mienne ; j’entrai pour y donner