Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/32

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magnifique ; ma mère se promena avec M. Murdstone le long de la haie d’épines, pendant que j’allais prendre mon thé. Quant il fut parti, ma mère me fit raconter toute notre journée, et me demanda tout ce qu’on avait dit ou fait. Je lui rapportai ce qu’on avait dit sur son compte ; elle se mit à rire, en répétant que ces messieurs étaient des impertinents qui se moquaient d’elle, mais je vis bien que cela lui faisait plaisir. Je le devinais alors aussi bien que je le sais maintenant. Je saisis cette occasion de lui demander si elle connaissait M. Brooks de Sheffield ; elle me répondit que non, mais que probablement c’était quelque fabricant de coutellerie.

Est-il possible, au moment où le visage de ma mère paraît devant moi, aussi distinctement que celui d’une personne que je reconnaîtrais dans une rue pleine de monde, que ce visage n’existe plus ? Je sais qu’il a changé, je sais qu’il n’est plus ; mais en parlant de sa beauté innocente et enfantine, puis-je croire qu’elle a disparu et qu’elle n’est plus, tandis que je sens près de moi sa douce respiration, comme je la sentais ce soir-là ? Est-il possible que ma mère ait changé, lorsque mon souvenir me la rappelle toujours ainsi ; lorsque mon cœur fidèle aux affections de sa jeunesse, retient encore présent dans sa mémoire ce qu’il chérissait alors.

Pendant que je parle de ma mère, je la vois belle comme elle était le soir où nous eûmes cette conversation, lorsqu’elle vint me dire bonsoir. Elle se mit gaiement à genoux près de mon lit, et me dit, en appuyant son menton sur ses mains :

« Qu’est-ce qu’ils ont donc dit, Davy ? répète-le moi, je ne peux pas le croire.

— La séduisante… » commençai-je à dire.

Ma mère mit sa main sur mes lèvres pour m’arrêter.

« Mais non, ce n’était pas séduisante, dit-elle en riant, ce ne pouvait pas être séduisante, Davy. Je sais bien que non.

— Mais si ! la séduisante Mme Copperfield, répétai-je avec vigueur, et aussi « la jolie ».

— Non, non, ce n’était pas le jolie, pas la jolie, repartit ma mère en plaçant de nouveau les doigts sur mes lèvres.

— Oui, oui, la jolie petite veuve.

— Quels fous ! quel impertinents ! cria ma mère en riant et en se cachant le visage. Quels hommes absurdes ! N’est-ce pas ? mon petit Davy ?

— Mais, maman…

— Ne le dis pas à Peggotty ; elle se fâcherait contre eux.