Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/332

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soigné pour aujourd’hui ; quelque chose de bon à manger et à boire, n’est-ce pas ? pour la compagnie.

J’allais protester contre l’honneur qu’il voulait me faire, mais je remarquai que Peggotty, qui était assise de l’autre côté du lit, désirait extrêmement me voir accepter cette offre. Je gardai donc le silence.

« J’ai quelques pence par là, ma chère, dit M. Barkis, mais je suis las maintenant ; si vous voulez emmener M. David pendant que je vais faire un petit somme, je tâcherai de trouver ce qu’il vous faut quand je me réveillerai. »

Nous quittâmes la chambre, sur cette requête. Quand nous pûmes sortir, Peggotty m’apprit que M. Barkis, étant devenu un peu plus serré que par le passé, avait toujours recours à ce stratagème, chaque fois qu’il s’agissait de tirer une pièce de monnaie de son coffre, et qu’il endurait des tortures inconcevables à se traîner tout seul hors de son lit pour chercher son argent dans cette malheureuse caisse. En effet, nous l’entendîmes bientôt pousser des gémissements étouffés, attendu que ce procédé de pie voleuse faisait craquer toutes ses jointures endolories : mais Peggotty, malgré des regards qui exprimaient toute sa compassion pour son mari, m’assura que ce mouvement de générosité lui ferait du bien, et qu’il valait mieux le laisser faire. Elle le laissa donc gémir tout seul, jusqu’à ce qu’il eût regagné son lit, en souffrant le martyre, j’en suis sûr. Alors il nous appela, et faisant semblant d’ouvrir les yeux après un bon somme, il tira une guinée qu’il avait mise sous son oreiller. La satisfaction de nous avoir trompés et de garder un secret impénétrable sur le contenu de son coffre, semblait être à ses yeux une compensation suffisante pour toutes ses tortures.

Je préparai Peggotty à l’arrivée de Steerforth et il parut bientôt. Je suis persuadée qu’elle ne faisait aucune différence entre les bontés qu’il avait eues pour moi et des services qu’il aurait pu lui rendre à elle-même, et qu’elle était disposée d’avance à le recevoir avec reconnaissance et dévouement dans tous les cas ; mais ses manières gaies et franches, sa bonne humeur, sa belle figure, le don naturel qu’il possédait de se mettre à la portée de ceux avec qui il se trouvait et de toucher juste, quand il voulait s’en donner la peine, la corde sensible de chacun, tout cela fit la conquête de Peggotty en cinq minutes. D’ailleurs ses façons avec moi auraient suffi pour la subjuguer. Mais, grâce à toutes ces raisons combinées,