Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/345

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lui répondis-je ; est-ce que je vous ai fait tomber des nues ?

— Non, non, répliqua-t-il.

— Ou remonter de je ne sais où ? lui dis-je en m’asseyant près de lui.

— Je regardais les figures qui se formaient dans le feu, répondit-il.

—Mais vous allez me les gâter, je ne pourrai plus rien y voir, lui dis-je, car il le remuait vivement avec un morceau de bois enflammé, et les étincelles s’envolant par la petite cheminée s’élançaient en pétillant dans les airs.

— Vous n’auriez rien vu, répliqua-t-il… Voilà le moment de la journée que je déteste le plus : il ne fait ni nuit ni jour. Comme vous revenez tard ! où avez-vous donc été ?

— Je suis allé prendre congé de ma promenade accoutumée.

— Et moi, je vous attendais ici, dit Steerforth, en jetant un coup d’œil autour de la chambre, en pensant qu’il faut que tous les gens que nous avons vus si heureux ici le jour de notre arrivée soient aujourd’hui, à en juger par l’air désolé de la maison, dispersés, ou morts, ou menacés de je ne sais quel malheur. David ! plût à Dieu que j’eusse eu depuis vingt ans, pour me diriger, les conseils judicieux d’un père !

— Qu’avez-vous donc, mon cher Steerforth ?

— Je voudrais de tout mon cœur avoir été mieux conduit ! Je voudrais de tout mon cœur être en état de mieux me conduire moi-même ! s’écria-t-il. »

Il y avait dans ses manières un découragement mêlé de colère qui m’étonnait extrêmement. Je ne le reconnaissais plus du tout.

« Mieux vaudrait être ce pauvre Peggotty, ou son lourdaud de neveu, dit-il en se levant et en appuyant sa tête d’un air sombre sur la cheminée, dont il regardait toujours fixement le feu, que d’être ce que je suis, avec ma supériorité de fortune et d’éducation, pour me mettre l’esprit à la torture, comme je viens de le faire depuis une demi-heure dans cette barque du diable ! »

J’étais si confondu du changement dont j’étais témoin, que je ne pus faire autre chose, au premier abord, que de le regarder en silence, pendant qu’il contemplait toujours le feu, la tête appuyée sur sa main. Enfin, je lui demandai, avec toute l’anxiété que j’éprouvais, de me dire ce qui avait pu arriver pour le contrarier d’une manière si extraordinaire, et de me