Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/386

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même faire mes commandes chez le traiteur. En descendant le Strand un peu plus tard, j’aperçus à la fenêtre d’un charcutier un bloc d’une substance veinée qui ressemblait à du marbre, et qui portait cette étiquette : « Fausse tortue. » J’entrai et j’en achetai une tranche suffisante, à ce que j’ai vu depuis, pour quinze personnes. Mistress Crupp consentit avec quelque difficulté à réchauffer cette préparation qui diminua si fort en se liquéfiant, que nous la trouvâmes, comme disait Steerforth, un peu juste pour nous quatre.

Ces préparatifs heureusement terminés, j’achetai un petit dessert au marché de Covent-Garden, et je fis une commande assez considérable chez un marchand de vins en détail du voisinage. Quand je rentrai chez moi, dans l’après-midi, et que je vis les bouteilles rangées en bataille dans l’office, elles me semblèrent si nombreuses (quoiqu’il y en eût deux qu’on ne pût pas retrouver, au grand mécontentement de mistress Crupp), que j’en fus littéralement effrayé.

L’un des amis de Steerforth s’appelait Grainger, et l’autre Markham. Ils étaient tous les deux gais et spirituels ; Grainger était un peu plus âgé que Steerforth, Markham avait l’air plus jeune, je ne lui aurais pas donné plus de vingt ans. Je remarquai que ce dernier parlait toujours de lui-même d’une manière indéfinie en se servant de la particule on pour remplacer la première personne du singulier qu’il n’employait presque jamais. ·

« On pourrait très-bien vivre ici, monsieur Copperfield, dit Markham, voulant parler de lui-même.

— La situation est assez agréable, répondis-je, et l’appartement est vraiment commode.

— J’espère que vous avez fait provision d’appétit, dit Steerforth à ses amis.

— Sur mon honneur, dit Markham, je crois que c’est Londres qui vous donne comme cela de l’appétit. On a faim toute la journée. On ne fait que manger. »

J’étais un peu embarrassé d’abord, et je me trouvais trop jeune pour présider au repas ; je fis donc asseoir Steerforth à la place du maître de la maison, quand on annonça le dîner, et je m’assis en face de lui. Tout était excellent, nous n’épargnions pas le vin, et Steerforth fit tant de frais pour que la soirée se passât gaiement, qu’en effet ce fut une véritable fête d’un bout à l’autre. Pendant le dîner, je me reprochais de ne pas être aussi gracieux pour mes hôtes que je l’aurais voulu,