Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/398

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— J’ai fait ce que je devais, je l’espère, Trotwood, répliqua-t-elle. J’étais certaine qu’il était nécessaire pour la tranquillité de papa que ce sacrifice fût accompli ; je l’ai donc prié de le faire. Je lui ai dit que ce serait un grand poids de moins pour lui… puissé-je avoir dit vrai !… et que cola me donnerait plus d’occasions encore que par la passé de lui tenir compagnie. Oh ! Trotwood, s’écria Agnès en couvrant son visage de ses mains pour cacher ses larmes, il me semble presque que j’ai joué le rôle d’une ennemie de mon père, plutôt que celui d’une fille pleine de tendresse, car je sais que les changements que nous avons remarqués en lui ne viennent que de son dévouement pour moi. Je sais que s’il a rétréci le cercle de ses devoirs et de ses affections, c’était pour les concentrer sur moi tout entiers. Je sais toutes les privations qu’il s’est imposées pour moi, toutes les sollicitudes paternelles qui ont assombri sa vie, énervé ses forces et son énergie, en concentrant toutes ses pensées sur une seule idée. Ah ! si je pouvais tout réparer ! si je pouvais réussir à le relever, comme j’ai été la cause innocente de son abaissement ! »

Je n’avais jamais vu pleurer Agnès. J’avais bien vu des larmes dans ses yeux chaque fois que je rapportais de nouveaux prix de la pension, j’en avais vu encore la dernière fois que nous avions parlé de son père ; je l’avais vue détourner son doux visage quand nous nous étions séparés, mais je n’avais jamais été témoin d’un chagrin pareil. J’en étais si triste que je ne pouvais pas lui dire autre chose que des enfantillages comme ces simples paroles : « Je vous en prie, Agnès, je vous en prie, ne pleurez pas, ma chère sœur ! »

Mais Agnès m’était trop supérieure par le caractère et la persévérance (je le sais maintenant, que je le comprisse ou non alors), pour avoir longtemps besoin de mes prières. La sérénité angélique de ses manières qui l’a marquée dans mon souvenir d’un sceau si différent de toute autre créature, reparut bientôt, comme lorsqu’un nuage s’efface d’un ciel serein.

« Nous ne serons probablement pas seuls bien longtemps, dit Agnès, et puisque j’en ai l’occasion, permettez-moi de vous demander instamment, Trotwood, de montrer de la bienveillance pour Uriah. Ne le rebutez pas. Ne lui en voulez pas (comme je sais que vous y êtes en général disposé) de ce que vos caractères n’ont pas de sympathie. Ce n’est peut-être que lui rendre justice, car nous ne savons rien de positif contre lui. En tous cas, pensez d’abord à papa et à moi ! »