Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/400

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et il avait un air si glacial, que ses cheveux me firent l’effet, non pas d’être gris, mais d’être parsemés de givre ou de frimas. On montrait la plus grande déférence au couple Spiker ; Agnès m’apprit que cela venait de ce que M. Henry Spiker était l’avoué de quelqu’un ou de quelque chose, je ne sais lequel, qui tenait de loin à la trésorerie.

Je trouvai Uriah Heep vêtu de noir au milieu de la compagnie. Il était plein d’humilité et me dit, quand je lui donnai une poignée de main, qu’il était fier de ce que je voulais bien faire attention à lui, et qu’il m’était très-obligé de ma condescendance. J’aurais voulu qu’il en fût un peu moins touché, car, dans l’excès de sa reconnaissance, il ne fit que rôder toute la soirée autour de moi, et chaque fois que je disais un mot à Agnès, j’étais sûr d’apercevoir dans un coin ses yeux vitreux et son visage cadavéreux, qui nous hantaient comme ceux d’un déterré.

Les autres invités me firent l’effet d’avoir été frappés à la glace comme le champagne. L’un d’eux pourtant attira mon attention avant même d’être introduit ; j’avais entendu annoncer M. Traddles ; mes pensées se reportèrent à l’instant vers Salem-House ; serait-il possible, me disais-je, que ce fut ce Tommy qui dessinait toujours des squelettes !

J’attendais l’entrée de M. Traddles avec un intérêt inaccoutumé. Je vis un jeune homme tranquille, à l’air grave, aux manières modestes, avec des cheveux très-étranges et des yeux un peu trop ouverts ; il disparut si vite dans un coin sombre, que j’eus quelque peine à l’examiner. Enfin je parvins à le voir en face, et mes yeux me trompaient bien si ce n’était pas mon pauvre vieux Tommy.

Je m’approchai de M. Waterbrook pour lui dire que je croyais avoir le plaisir de retrouver chez lui un ancien camarade.

« En vérité ? dit M. Waterbrook d’un air étonné, vous êtes trop jeune pour avoir été en pension avec M. Henry Spiker ?

— Oh ! ce n’est pas de lui que je parle, repartis-je. Je parle d’un monsieur qui s’appelle Traddles.

— Oh ! oui, oui, en vérité ? dit mon hôte avec beaucoup moins d’intérêt, c’est possible.

— Si c’est véritablement mon ancien camarade, dis-je en regardant du côté de Traddles, nous avons été ensemble dans une pension qui s’appelait Salem-House : c’était un excellent garçon.