Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/420

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fait ! ma destinée était accomplie. J’étais captif, esclave. J’aimais Dora Spenlow à la folie.

C’était pour moi comme un être surhumain, une fée, une sylphide, je ne sais quoi ; quelque chose de tel qu’on n’avait jamais rien vu de pareil, et que tout le monde en raffolait. Je disparus à l’instant dans un abîme d’amour. Je n’eus pas le temps de m’arrêter sur le bord, ni de regarder en avant ou en arrière, je me précipitai la tête la première, avant d’avoir assez recouvré mes sens pour lui adresser la parole.

« J’ai déjà vu M. Copperfield, » dit une voix bien connue pendant que je saluais en murmurant quelques mots.

Ce n’était pas Dora qui parlait, non ; c’était son amie de confiance, miss Murdstone !

J’aurais bien dû m’étonner, eh bien ! non. Il me semble que je n’avais plus la faculté de m’étonner. Il n’y avait au monde que Dora Spenlow qui valut la peine qu’on s’étonnât pour elle. Je me mis à dire :

« Comment vous portez-vous, miss Murdstone ? J’espère que votre santé est bonne ?

— Très-bonne, répondit-elle.

— Et comment va M. Murdstone ?

— Mon frère se porte à merveille, je vous remercie. »

M. Spenlow, qui avait, je suppose, été surpris de me voir en pays de connaissance, plaça ici son mot :

« Je suis bien aise de voir, Copperfield, dit-il, que miss Murdstone et vous, vous soyez d’anciennes connaissances.

— Nous sommes alliés, M. Copperfield et moi, dit miss Murdstone d’un ton calme et sévère. Nous nous sommes un peu connus autrefois, dans son enfance ; les circonstances nous ont séparés depuis lors ; je ne l’aurais pas reconnu. »

Je répliquai que je l’aurais reconnue n’importe où, ce qui était vrai.

« Miss Murdstone a eu la bonté, me dit M. Spenlow, d’accepter l’office… si elle veut bien me permettre de l’appeler ainsi, d’amie confidentielle de ma fille Dora. Ma fille Dora étant malheureusement privée de sa mère, miss Murdstone veut bien lui accorder sa compagnie et sa protection. »

À propos de protection, il me passa une idée par la tête, c’est que miss Murdstone, comme ces pistolets de poche appelés life preserver, était plutôt faite pour l’attaque que pour la protection de personne. Mais c’est une idée qui ne fit que me passer dans l’esprit, comme toutes celles qui ne se rapportaient