Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/468

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Dieu, James et moi, nous savons trop bien ce que nous nous devons l’un à l’autre !

— Oh ! dit miss Dartle en hochant la tête d’un air pensif, sans doute, cela suffirait. Préci… sé… ment. Eh bien ! je suis bien aise d’avoir fait cette sotte question ; au moins j’ai le plaisir d’être sûre, à présent, que vous savez trop bien ce que vous vous devez l’un à l’autre pour que cela puisse arriver jamais. Je vous remercie bien. »

Je ne veux pas omettre une petite circonstance qui se rapporte à miss Dartle, car j’eus plus tard des raisons de m’en souvenir, quand l’irréparable passé me fut expliqué. Tout le long du jour et surtout à partir de ce moment, Steerforth déploya ce qu’il avait d’habileté, avec l’aisance qui ne l’abandonnait jamais, à amener cette singulière personne à jouir de sa société et à être aimable avec lui. Je ne fus pas étonné non plus de la voir lutter d’abord contre sa séduisante influence et le charme de ses avances, car je la connaissais pour être parfois pleine de préventions et d’entêtement. Je vis sa physionomie et ses manières changer peu à peu, je la vis le regarder avec une admiration croissante, je la vis faire des efforts de plus en plus affaiblis, mais toujours avec colère, comme si elle se reprochait sa faiblesse, pour résister à la fascination qu’il exerçait sur elle, puis je vis enfin ses regards irrités s’adoucir, son sourire se détendre, et la terreur qu’elle m’avait inspirée tout le jour s’évanouit. Assis autour du feu, nous étions tous à causer et à rire ensemble, avec autant d’abandon que des petits enfants.

Je ne sais si ce fut parce que la soirée était déjà avancée, ou parce que Steerforth ne voulait pas perdre le terrain qu’il avait gagné, mais nous ne restâmes pas dans la salle à manger plus de cinq minutes après elle.

« Elle joue de la harpe, dit Steerforth à voix basse en approchant de la porte du salon ; je crois qu’il y a trois ans que personne ne l’a entendue, si ce n’est ma mère ! »

Il dit ces mots avec un sourire particulier qui disparut aussitôt. Nous entrâmes dans le salon, où elle était seule.

« Ne vous levez pas ! dit Steerforth en l’arrêtant. Voyons ! ma chère Rosa, soyez donc aimable une fois et chantez-nous une chanson irlandaise !

— Vous vous souciez bien des chansons irlandaises ! repliqua-t-elle.

— Certainement, dit Steerforth, infiniment ; ce sont celles