Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/47

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avec une grande amertume qu’elle le sentait plus qu’aucun de nous.

Quand M. Peggotty rentra, vers neuf heures, l’infortunée mistress Gummidge tricotait dans son coin de l’air le plus misérable. Peggotty travaillait gaiement. Ham raccommodait une paire de grandes bottes. Moi, je lisais tout haut, la petite Émilie à côté de moi. Mistress Gummidge avait poussé un soupir de désolation, et n’avait pas, depuis le thé, levé une seule fois les yeux sur nous.

« Eh bien, les amis, dit M. Peggotty en prenant une chaise, comment ça va-t-il ? »

Nous lui adressâmes tous un mot de bienvenue, excepté mistress Gummidge qui hocha tristement la tête sur son tricot.

« Qu’est-ce qui ne vas pas ? dit M. Peggotty tout en frappant des mains. Courage, vieille mère ! » (M. Peggotty voulait dire, vieille fille).

Mistress Gummidge n’avait pas la force de reprendre courage. Elle tira un vieux mouchoir de soie noire et s’essuya les yeux, mais au lieu de le remettre dans sa poche, elle le garda à la main, s’essuya de nouveau les yeux et le garda encore, tout prêt pour une autre occasion.

« Qu’est-ce qui cloche, ma bonne femme ? dit M. Peggotty.

— Rien, répondit mistress Gummidge. Vous revenez du Bon vivant, Dan ?

— Mais oui, j’ai fait ce soir une petite visite au Bon vivant, dit M. Peggotty.

— Je suis fâchée que ce soit moi qui vous force à aller là, dit mistress Gummidge.

— Me forcer ! mais je n’ai pas besoin qu’on m’y force, repartit M. Peggotty avec le rire le plus franc ; je n’y suis que trop disposé.

— Très disposé, dit mistress Gummidge en secouant la tête et en s’essuyant les yeux. Oui, oui, très disposé ; je suis fâchée que ce soit à cause de moi que vous y soyez si disposé.

— À cause de vous ? Ce n’est pas à cause de vous ! dit M. Peggotty. N’allez pas croire ça.

— Si, si, s’écria mistress Gummidge, je sais que je suis… je sais que je suis une pauvre créature perdue sans ressources, que non seulement tout me contrarie, mais que je contrarie tout le monde. Oui, oui, je sens plus que d’autres et je le montre davantage. C’est mon malheur. »