Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/470

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« Oh ! qui est-ce qui sait ? dit Steerforth. Tout ce que vous voudrez, rien du tout, peut-être ! Je vous ai déjà dit qu’elle passait tout à la meule, y compris sa personne, pour en aiguiser la lame ; et c’est une fine lame, prenez-y garde, il ne faut pas s’y frotter sans précaution, il y a toujours du danger. Bonsoir !

— Bonsoir, mon cher Steerforth. Je serai parti demain matin avant votre réveil. Bonsoir ! »

Il ne se souciait pas de me laisser aller, et restait debout devant moi, les mains appuyées sur mes épaules, comme il avait fait dans ma chambre.

« Pâquerette ! dit-il avec un sourire, quoique ce ne soit pas le nom que vous ont donné vos parrain et marraine, c’est celui que j’aime le mieux vous donner, et je voudrais, oh ! oui, je voudrais bien que vous pussiez me le donner aussi !

— Mais qu’est-ce qui m’en empêche, si cela me convient ?

— Pâquerette, si quelque événement venait nous séparer, pensez toujours à moi avec indulgence, mon garçon. Voyons, promettez-moi cela. Pensez à moi avec indulgence si les circonstances venaient à nous séparer.

— Que me parlez-vous d’indulgence, Steerforth ? lui dis-je. Mon affection et ma tendresse pour vous sont toujours les mêmes, et n’ont rien à vous pardonner. »

Je me sentais si repentant de lui avoir jamais fait tort, même par une pensée passagère, que je fus sur le point de le lui avouer. Sans la répugnance que j’éprouvais à trahir la confiance d’Agnès, sans la crainte que je ressentais de ne pouvoir pas même toucher ce sujet que je ne courusse le risque de la compromettre, je lui aurais tout confessé avant de lui entendre dire :

« Dieu vous bénisse, Pâquerette, et bonne nuit ! »

Mon hésitation me sauva : je lui serrai la main et je le quittai.

Je me levai à la pointe du jour, et m’étant habillé sans bruit, j’entr’ouvris sa porte. Il dormait profondément, paisiblement couché la tête sur son bras, comme je l’avais vu souvent dormir à la pension.

Le temps vint, et ce ne fut pas long, où je me demandai comment il se faisait que rien n’eût troublé son repos au moment où je le vis alors ; mais il dormait…, comme j’aime encore à me le représenter, comme je l’avais vu souvent dormis à la pension. À cette heure du silence, je le quittai :