Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/79

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place, et que je fusse bien traité ici, j’offrirais volontiers une bagatelle plutôt que de l’accepter. Mais je vis des restes… et je couche sur les sacs à charbon. » Ici le garçon fondit en larmes.

J’éprouvais la plus profonde pitié pour ses infortunes, et je sentais qu’il fallait avoir le cœur bien dur et bien brutal pour lui offrir moins de neuf pence. Je finis par lui donner un de mes trois beaux shillings ; il le reçut avec beaucoup d’humilité et de vénération, et la minute d’après il le fit sonner sur son ongle, pour voir si la pièce était bonne.

Je fus un peu déconcerté au moment de monter dans la voiture, lorsque je découvris qu’on me supposait capable d’avoir mangé le dîner tout entier à moi seul. Je m’en aperçus en entendant la dame qui était à la fenêtre, dire au conducteur :

« Prenez garde, George, ou cet enfant va éclater en route ! » Les servantes de l’hôtel qui étaient dans la cour venaient me contempler comme un jeune phénomène et me rire au nez. Mon malheureux ami, le garçon de l’hôtel, qui avait tout à fait repris sa bonne humeur, ne paraissait nullement embarrassé, et prenait, sans la moindre confusion, part à l’admiration générale. Je ne sais pas si cela ne me donna pas quelques soupçons sur son compte mais j’incline pourtant à penser que, plein comme je l’étais de cette confiance naturelle aux enfants et du respect qu’ils ont en général pour ceux qui sont plus âgés qu’eux (qualités que je suis toujours fâché de voir perdre trop tôt aux enfants pour prendre les habitudes du monde), je n’eus pas, même alors, de doutes sérieux sur son compte.

Je trouvais pourtant un peu dur, il faut que je l’avoue, de servir de point de mire aux plaisanteries continuelles du cocher et du conducteur, sur ce que mon poids faisait pencher la diligence d’un côté, ou que je ferais bien de voyager à l’avenir dans un fourgon. L’histoire de mon appétit supposé se répandit bientôt parmi les voyageurs de l’impériale qui s’en divertirent aussi infiniment ; ils me demandèrent si, à la pension où j’allais, on devait payer pour moi comme pour deux seulement ou pour trois ; si on avait fait des conditions particulières, ou bien si on me prenait au même prix que les autres enfants ; avec une foule d’autres questions du même genre. Mais ce qu’il y avait de pis, c’est que je savais que, lorsque l’occasion se présenterait, je n’aurais pas le courage de manger la moindre chose, et qu’après avoir fait un assez pauvre dîner, j’allais me laisser affamer toute la nuit,