Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/86

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pu jouer aussi mal. Il en tirait les sons les plus épouvantables que j’aie entendus, naturels ou artificiels. Je ne sais quel air il jouait, si tant est que ce fussent des airs, ce dont je doute, mais le résultat de cette mélodie fut primo, de me faire songer à toutes mes peines, au point de me faire venir les larmes aux yeux ; secondo, de m’ôter complètement l’appétit, et tertio, de me donner une telle envie de dormir que je ne pouvais tenir mes yeux ouverts. Le seul souvenir de cette musique m’assoupit encore. Je revois la petite chambre avec l’armoire du coin entr’ouverte, les chaises au dossier perpendiculaire, et le petit escalier à pic qui conduisait à une autre petite chambre au premier, enfin les trois plumes de paon qui ornaient le manteau de la cheminée ; je me souviens, qu’en entrant, je me demandais si le paon serait bien flatté de voir ses belles plumes condamnées à cet emploi, mais tout cela disparaît peu à peu devant moi, ma tête se penche, je dors. La flûte ne se fait plus entendre, c’est le son des roues qui retentit à mon oreille ; je suis en voyage ; la diligence s’arrête, je me réveille en sursaut, et voilà de nouveau la flûte ; le maître d’études de Salem-House en joue d’un air lamentable, et la vieille femme l’écoute avec ravissement. Mais elle disparaît à son tour, puis il disparaît aussi, enfin tout disparaît, il n’y a plus ni de flûte, ni de maître d’études ni de Salem-House ni de David Copperfield, il n’y a qu’un profond sommeil.

Je rêvais probablement, lorsque je crus voir, tandis qu’il soufflait dans cette épouvantable flûte, la vieille maîtresse du logis qui s’était approchée de lui dans son enthousiasme, se pencher tout d’un coup sur le dossier de sa chaise, et prendre sa tête dans ses bras pour l’embrasser ; un instant la flûte s’arrêta. J’étais apparemment entre la veille et le sommeil, alors et quelque temps après car, lorsqu’il recommença à jouer, (ce qu’il y a de sûr c’est qu’il s’était interrompu un instant), je vis et j’entendis la susdite vieille femme demander à mistress Fibbitson si ce n’était pas délicieux (en parlant de la flûte), à quoi mistress Fibbitson répondit, « oui, oh oui ! » et se pencha vers le feu, auquel elle rapportait, j’en suis sûr tout l’honneur de cette jolie musique.

Il y avait déjà longtemps que j’étais endormi, je crois, lors. que le maître d’études de Salem-House démonta sa flûte, mit dans sa poche les trois pièces qui la composaient et m’emmena. Nous trouvâmes la diligence tout près de là, et nous montâmes sur l’impériale, mais j’avais tellement envie de dormir