Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/92

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moi. Nous allâmes vivre je ne sais où et je ne sais comment ; ce que je sais bien, c’est que, pendant plusieurs jours, nous rencontrions partout deux ou trois femmes, que je n’avais qu’à peine entrevues jusqu’alors, et que j’avalai une telle quantité de poussière que j’éternuais aussi souvent que si Salem-House avait été une vaste tabatière.

Un jour M. Mell m’annonça que M. Creakle arriverait le soir. Après le thé, j’appris qu’il était arrivé ; avant l’heure de me coucher, l’homme à la jambe de bois vint me chercher pour comparaître devant lui.

M. Creakle habitait une portion de la maison beaucoup plus confortable que la nôtre ; il avait un petit jardin qui paraissait charmant à côté de la récréation, sorte de désert en miniature, où un chameau et un dromadaire se seraient trouvés comme chez eux. Je me trouvai bien hardi d’oser remarquer qu’il n’y avait pas jusqu’au corridor qui n’eut l’air confortable, tandis que je me rendais tout tremblant chez M. Creakle. J’étais tellement abasourdi en entrant, que je vis à peine mistress Creakle ou miss Creakle qui étaient toutes deux dans le salon. Je ne voyais que M. Creakle, ce bon et gros monsieur qui portait un paquet de breloques à sa montre ; il était assis dans un fauteuil, avec une bouteille et un verre à côté de lui.

« Ah ! dit M. Creakle, voilà le jeune homme dont il faut limer les dents. Faites-le retourner. »

L’homme à la jambe de bois me retourna de façon à montrer le placard, puis lorsque M. Creakle eut eu tout le temps de le lire, il me replaça en face du maître de pension, et se mit à côté de lui. M. Creakle avait l’air féroce, ses yeux étaient petits et très-enfoncés ; il avait de grosses veines sur le front, un petit nez et un menton très-large. Il était chauve, et n’avait que quelques petits cheveux gras et gris, qu’il lissait sur ses tempes, de façon à leur donner rendez-vous au milieu du front. Mais ce qui chez lui me fit le plus d’impression, c’est qu’il n’avait presque pas de voix et parlait toujours tout bas. Je ne sais si c’est qu’il avait de la peine à parler même ainsi, ou si le sentiment de son infirmité l’irritait, mais, toutes les fois qu’il disait un mot, son visage prenait une expression encore plus méchante, ses veines se gonflaient, et quand j’y réfléchis, je comprends que ce soit là ce qui me frappa d’abord, comme ce qu’il y avait chez lui de plus remarquable.

« Voyons, dit M. Creakle. Qu’avez-vous à m’apprendre sur cet enfant ?